Gouverneur de la Banque européenne d’investissements (BEI), Alain Prate a été étroitement associé, depuis le début des années 1950, à l’entreprise de construction européenne. Il a assumé depuis 1957 à Bruxelles, à Paris, à Luxembourg, d’importantes responsabilités qui lui ont permis d’être présent et actif aux différents moments décisifs de la naissance et du développement de la Communauté. Son livre fournit par conséquent d’intéressants témoignages sur l’élaboration du traité de Rome dont il a été en partie le rédacteur, la fonction du Comité monétaire dont il fut le premier secrétaire, la première grande négociation commerciale multilatérale que fut le Kennedy Round de 1967 à 1968, et bien d’autres moments plus proches de nous.

Mais ce n’est pas tant l’analyse du passé qui importe que le jugement qu’il porte sur les problèmes actuels de la Communauté. Pour ce faire, Alain Prate dresse l’état des lieux d’une Europe où Marché commun, politique agricole [PAC] et politique commerciale communes, forment toujours la base, hier comme aujourd’hui. Deux enseignements majeurs peuvent être tirés. Le premier est que les progrès de la libération des échanges doivent s’accompagner de l’élaboration de politiques communes. Comme le remarque Raymond Barre dans sa préface, « la Communauté ne peut être une simple ligue commerciale ». Plus importante peut-être est la façon dont Alain Prate a mis en relief la « méthode communautaire », qui a fait la force de la Communauté depuis son origine. Il s’agit d’un système institutionnel particulier, certainement complexe, mais qui a abouti, quoi que l’on ait pu dire, à la prise de décisions acceptées et appliquées par tous les États membres. Ce système institutionnel n’a fait que s’enrichir au fil des années. La création du Conseil européen en 1975 n’a pas dénaturé l’inspiration des « pères fondateurs », mais introduit les décideurs suprêmes au cœur même du dispositif communautaire.

En spécialiste des questions monétaires, Alain Prate aborde assez longuement, mais toujours de façon claire et pénétrante, les divers volets de cette politique. Il rend compte du débat monétaire qui s’est instauré lors des dérèglements du système monétaire international, expose la mise en place du SME (Système monétaire européen), puis en vient au grand débat actuel sur l’Union économique et monétaire (UEM). Il convient de relever la franchise de ses propos : « L’histoire mouvementée des relations monétaires entre les pays de la Communauté illustre l’ampleur des difficultés prévisibles sur la voie de l’Union monétaire, qui ne pourraient être surmontées que si les gouvernements avaient la volonté politique de mettre en place un système institutionnel présentant certaines caractéristiques fédérales ». En quelques forts chapitres, Alain Prate examine les principales questions liées à l’avenir de la Communauté : impact de l’unité allemande, Europe de l’Atlantique à l’Oural, perspectives de l’Union politique. Sur la question de l’élargissement, il ne manque pas d’en souligner les dangers : « Une Communauté de dix-huit à vingt pays, quelles que soient les intentions affichées, on reviendrait fatalement à des procédures intergouvernementales ». Mais ajoute-t-il, une telle dilution « n’est pas de l’avis de ceux qui constatent les immenses services qu’ont rendus les Communautés pour bâtir une Europe de l’Ouest pacifique et prospère, ayant surmonté les querelles du passé ».

Quelle Europe ? est un témoignage et une réflexion très précieuse sur le débat européen qui fait partie de notre horizon commun, citoyens, régions, nations et États du Vieux Continent. ♦