Les généraux : enquête sur le pouvoir militaire en France
Pas d’affolement ! le pétard est mouillé. Le sous-titre de Jean Guisnel, Enquête sur le pouvoir militaire en France, laissait entendre que les généraux font la pluie et le bon temps ; le livre lu, et cerné « notre » pouvoir, on peut regretter qu’il ne soit pas plus fort.
Après une introduction en fanfare où l’auteur expose, juste hommage à l’aspect noble du métier, deux actes de guerre (à Ouvéa et au Sahara occidental), la première partie traite de « La fabrication des généraux ». C’est à Saint-Cyr que celle-ci commence, où bahutages, rêves de gloire et tradition « anti-pompe » commenceraient à fermer les esprits, au grand dam d’une hiérarchie moderniste qui n’en peut mais. Le stade suivant est à l’École de guerre, où la méthode de raisonnement tactique achèverait de brider la pensée et de rendre les décideurs militaires incapables de saisir les modes nouveaux de l’analyse des situations. « Le choix des généraux », stade ultime, nous vaut une bonne description des marchandages interarmes, perturbés souvent par les ukazes ministériels. Sortant de fabrique, les généraux sont aux normes, conformistes et routiniers.
La seconde partie, sous le titre « Doctrines et armements », parle plus des seconds (Hadès, Rafale, frégates de Taïwan) que des premières. La Délégation générale de l’armement (DGA) est sur la sellette, et aussi les étoilés devenus, en deuxième section, agents d’influence des marchands d’armes. Le chapitre « Évêques et généraux » présente avec pertinence les problèmes moraux, insolubles, que pose la dissuasion nucléaire, et le dernier décrit fort bien le divorce de l’armée et de la nation, divorce prononcé, on s’en doute, aux torts de l’armée. Dans l’une et l’autre parties, le nombre des généraux cités avoisine la centaine, les jugements personnels abondent, et quelques-uns ne sont pas aimables.
Revenons à la thèse du pouvoir militaire : elle est, au fil des pages, réduite à néant. Quelle puissance pourraient exercer des généraux soumis et sclérosés ? Si, à la page 140, on tente d’expliquer leur prétendu pouvoir par la précarité de la position de leur ministre, on énonce une contre-vérité : c’est du moment où la Ve République a instauré la stabilité des gouvernements que nos généraux ont perdu une grande partie de leur poids. Au demeurant, on nous montre clairement la primauté des cabinets sur les états-majors, et les seuls généraux « puissants » que l’on présente sont ceux qui ont compris et qui agissent dans les marges politiciennes. Et de citer (honnêtement ?) cette opinion d’une sociologue : les généraux « n’ont ni pouvoir ni prestige et ne rayonnent pas au-delà de leur domaine d’intérêt » (p. 280).
Quant aux réformes contre lesquelles s’arc-bouteraient les généraux, elles se succèdent à un tel rythme qu’on se demande quel corps pourrait y survivre, et quel budget. À voir ce qui se trame, aujourd’hui, dans les cabinets, on se réjouit d’apprendre que nos généraux n’y ont que peu de parts. ♦