Le conflit qui se déroule en Syrie et en Irak ne doit pas être regardé avec nos critères occidentaux mais en se référant à une complexité multiculturelle où les protagonistes s’affrontent selon des approches souvent contradictoires et rattachées à des perceptions antagonistes du monde, des sociétés et des relations entre peuples.
L’inextricable hiver Syrie-Irak ou la duplication de conflits interchangeables (1/2)
The Inextricable Syrian-Iraqi Winter, or the Duplication of Interchangeable Conflicts(1/2)
The conflict unrolling in Syria and Iraq must not be examined with our western criteria but instead with reference to a multicultural complexity in which protagonists contend with each other using approaches that are often contradictory and associated with antagonistic perceptions of the world, societies, and relationships between people.
Il n’est nul besoin de se livrer à une étude comparative des révolutions pour en constater un commun dénominateur : la rupture, c’est-à-dire un instant imprécis entre deux épisodes historiques, la défaillance d’un système, d’une part et l’émergence d’institutions nouvelles, d’autre part. Seulement, il arrive qu’il y ait un décalage, ou un revirement dans le cours des événements, lorsque le système résiste ou lorsqu’il abdique prématurément en créant un fascinant vide politique qui entraîne immanquablement conflits, anarchie et guerres civiles. Ainsi, compte tenu de son moment (suite à la vague des mouvements contestataires du monde arabe connu sous l’appellation de « Printemps arabe ») et de sa nature originelle (manifestations pacifiques et revendications politiques), la révolution syrienne s’était adonnée à toutes les virtualités politiques possibles où tous les espoirs étaient permis. Seulement, peu après son éclatement le 15 mars 2011, le mouvement a pris les allures d’une insurrection armée, puis celles de « guerres » superposées, ce qui nous invite à une requalification des faits. Quatre ans après son déclenchement, la crise syrienne a pris des proportions tragiques avec plus de 190 000 morts et le déplacement forcé de presque la moitié de sa population.
L’échec du mouvement contestataire, et l’expansion de ce conflit dans l’espace et dans le temps répondent à un large faisceau de causalités qui se rapporte à la stratégie, à la personnalité et aux structures du régime, à l’opposition syrienne, aux déterminants étrangers (les puissances internationales et régionales ainsi que les éléments non étatiques à caractère transnational), à l’espace dans toutes ses dimensions (géographiques, ethno-confessionnelles, paradigmes idéologiques…), au déterminant kurde, etc. Cet article s’intéressera à ce qui nous semble être les deux cofacteurs essentiels qui expliquent la mainmise de Daech sur ces espaces frontaliers : la porosité de la frontière syro-irakienne, d’une part et la question tribale, d’autre part.
En effet, la Syrie d’aujourd’hui (de Sykes-Picot) n’est pas à isoler du Levant (Bilâdu sh-Shâm) dont Damas fut la capitale, durant le Califat omayyade. Cette approche globale du conflit qui consiste à inscrire cette Syrie dans la grande Syrie, invite, selon cette même perspective, à l’englober dans l’espace syro-mésopotamien. Cet espace, nous le limiterons à l’Irak-Syrie, alors que l’on pourrait y adjoindre le Liban, la Turquie, l’Iran, l’Égypte, la Jordanie, la Palestine et pourquoi pas aussi des appendices jusqu’aux banlieues françaises.
Il reste 83 % de l'article à lire