Le nouvel état du monde. Bilan de la décennie 1980-1990
Les éditions La Découverte, qui publient depuis 1981 L’état du monde, ont cherché à dresser le bilan de la décennie écoulée. Il est certain qu’une nouvelle configuration géopolitique a peu à peu émergé. Peut-on pour autant parler d’une nouvelle hiérarchie des puissances ? Pour répondre à cette question et à bien d’autres, l’ouvrage reste fidèle au plan adopté dans les bilans annuels, et l’on retrouve les quinze chapitres familiers : géopolitique, armement et désarmement, conflits et tensions, économie et travail, politique, organisations internationales, médias et communications, religion, mouvements sociaux, environnement, sciences et techniques, santé et médecine, création culturelle, idées et valeurs, régions et grands États. Le panorama est donc vaste, trop peut-être pour fournir un bilan articulé d’une période si riche. Aussi pourra-t-on être un peu déçu de maintes contributions qui ne sont qu’une bibliographie commentée des articles contenus dans les différents États du monde depuis 1981. Mais au moins, cet ouvrage constituera cette sorte d’herbier où chacun pourra consulter tel ou tel thème de son choix. Pour ce faire, il disposera également de courtes chronologies portant sur les sujets traités. Une annexe statistique chiffrée de dix-huit pages présente les données essentielles sur quelque 170 pays et territoires.
Quant à la mise en perspective de l’ensemble, ce sont les deux articles d’Yves Lacoste et de Jean-Luc Domenach qui la fournissent. Le directeur de la revue Hérodote analyse rapidement le « grand tournant géopolitique ». Si certains de ses repères chronologiques sont un peu hâtifs, en revanche il perçoit bien la plupart des enjeux. Il ne semble pas écarter la possibilité d’une tentative de reprise en mains de la situation par les appareils communistes, à l’occasion de l’éviction ou de la disparition de M. Gorbatchev, lignes écrites avant l’éclatement de la crise lituanienne. Portant son regard plus loin, Yves Lacoste s’interroge à juste titre sur le point de savoir « s’il s’agit peut-être aussi d’établir une entente durable entre ces deux grandes puissances de culture européenne (l’Amérique et la Russie) pour faire face à la montée rapide d’une troisième, de culture asiatique celle-là (le Japon), et qui pourrait devenir une concurrente redoutable pour les deux premières si elle parvenait à entraîner l’énorme Chine dans son sillage ». Mais curieusement, il ne dit mot du défi qui ne manquera pas de se poser à la Russie, comme à l’Europe, de la ceinture islamique qui s’étire de l’Atlantique au Pakistan ; juxtaposition qui ne sera pas nécessairement conflictuelle, mais qui se présentera inévitablement en termes de choc de sociétés et de cultures.
Quant à Jean-Luc Domenach, il s’interroge sur la profondeur des processus de démocratisation en cours, partout dans le monde. Il a raison de distinguer et d’analyser quatre situations : trois au sein du monde communiste ou ex-communiste, celle toute particulière de l’URSS où bien des inconnues demeurent, celle de l’Europe de l’Est en voie de décommunisation, encore qu’ici des nuances seraient à introduire, celle enfin des régimes communistes du Tiers-Monde où le processus de démocratisation est beaucoup moins affirmé. Quant à la quatrième situation, celle des régimes latino-américains, africains ou asiatiques présentés classiquement comme autoritaires, les clivages régionaux sont manifestes. « Prudence, nous avertit-il à juste titre, la démocratisation est un phénomène moins universel encore que l’affaiblissement des dictatures… Il est vrai, termine-t-il, que les démocraties occidentales constituent aujourd’hui un club de nantis : elles suscitent le mimétisme, l’envie ou l’hostilité dans le monde, mais il n’est pas sûr qu’elles exercent un véritable rayonnement » ! ♦