« Après Gorbatchev » (dossier) in Politique Internationale
Les événements de l’Est de l’Europe posent une question capitale au monde libre : Gorbatchev est-il le liquidateur courageux du communisme, ou l’agent d’un système assez souple pour se poursuivre après une « pause » ? Veut-il réinstaller la liberté et la démocratie en URSS, ou leurrer l’Occident, parasiter son économie, miner sa sécurité, sans renoncer à l’objectif final du communisme, l’hégémonie mondiale ? C’est à ces questions cruciales que tente de répondre ce dossier.
Pour Alain Besançon, la perestroïka et la glasnost sont des leurres. Il s’agit toujours de conserver les conquêtes du communisme, de découpler l’Europe des États-Unis, de neutraliser l’Allemagne, de « finlandiser » l’Europe sous le couvert d’une « maison commune ». Françoise Thom énonce un diagnostic impitoyable : l’URSS tente « d’associer la communauté internationale à l’entretien, au financement, à l’équipement, et à l’alimentation des pays socialistes. Le communisme n’est pas seulement ce que nous connaissons maintenant bien, un système de mensonge et de terreur, c’est aussi une gigantesque machine de pillage et de parasitisme ». Il a vécu du pillage des paysans (et dès le début, de l’aide occidentale), des dépouilles de la Seconde Guerre mondiale, du pillage de ses réserves naturelles. Maintenant, la direction politique a compris que le pays s’épuise. « Les démocraties populaires sont exsangues et deviennent un fardeau… II est impossible de gagner la course aux armements ». Il faut par conséquent adopter de nouvelles méthodes pour réaliser les objectifs extérieurs de l’URSS.
On est donc en train de leurrer l’Occident. L’armée soviétique a besoin d’un « dégraissage » ? On présente cette nécessité comme une concession, sous forme de « désarmement ». On se retire d’Afghanistan et de l’Angola ? En réalité, comme le montre Jean-Marie Benoist, on part pour rester, par l’intermédiaire de régimes successeurs favorables à l’URSS. On procède à grands fracas de publicité à des « réformes radicales » ? En fait, des projets de lois sont votés dans des formes totalement différentes de l’intention libérale primitivement annoncée. C’est le scénario classique du « surréalisme soviétique », qui montrait des kolkhozes prospères et des usines modèles, pour cacher la réalité du désastre économique. Sous couleur de multipartisme, le système est resté au pouvoir.
Comme Hans Graf Huyn l’exprime superbement, la perestroïka n’est rien qu’une « peredyshka », une pause, un répit dont l’URSS a besoin pour se refaire une santé et, grâce à l’aide occidentale, assurer sa position de puissance mondiale. L’URSS agit « conformément au principe de Lénine, selon lequel il ne faut pas seulement vaincre l’Occident, mais de plus le faire travailler au profit de l’Union soviétique ». L’Occident est trompé par une désinformation systématique dont Vladimir Volkoff avait écrit qu’elle « consiste à faire croire à quelqu’un ce qu’il doit croire pour qu’il coure lui-même à sa perte ».
L’URSS de la perestroïka – et de la peredyshka – est donc infiniment plus dangereuse que celle de Lénine et de Brejnev. Jadis et naguère, elle agissait à visage découvert, avait des amis et des adversaires. Elle a réussi aujourd’hui à faire participer ses adversaires mêmes à ses efforts.
Comment l’Occident devrait-il réagir à cette manœuvre ? Jean-François Revel engage les démocraties à hâter, non à retarder la dissolution du communisme. « Gorbatchev a réussi à leur vendre l’idée – surtout aux Américains – qu’il faut l’aider à réussir sa réforme ». Le monde libre ne doit pas se laisser tromper par « l’un des vieux bobards de la propagande communiste, qui cherche (et parvient) depuis toujours à nous faire croire que l’effondrement des ennemis de la liberté serait très mauvais pour la liberté ». Le monde libre devrait refuser aux pays communistes « une aide qui ne pourrait leur servir qu’à échapper à la noyade économique », mais aider les peuples asservis à l’empire colonial soviétique « à réussir leur retour à la civilisation », « encourager toutes les forces qui poussent à la sortie du communisme, mais seulement celles-là ». Le communisme n’est pas réparable.
Ce livre lucide sur l’URSS d’aujourd’hui va à rencontre de la plupart des idées à la mode. Mais si le monde libre persévère dans sa conduite, il risque de se réveiller demain esclave, ayant succombé aux chants de sirène orchestrés à partir de Moscou. ♦
(*) NDLR. Jean-Marie Benoist est décédé cet été, après une longue maladie qu’il avait combattue avec une énergie admirable. Nous nous associons à l’immense douleur de sa famille.