L’avenir d’un continent
Trois experts, dont deux dames, font le point sur la situation de l’Amérique du Sud (Mexique, chapelet d’États de l’Amérique centrale et Caraibes exclus) au moyen de ce petit livre d’une exemplaire clarté. Concision dans l’exposé d’une situation complexe ne veut pas dire indigence : le lecteur appréciera notamment, dans le chapitre II, une série de descriptions menées en trois coups de crayon comme des esquisses, sur chacun des pays concernés, regroupés en trois ensembles : cône Sud, bloc andin, Venezuela. L’essentiel s’y trouve : l’étendue du littoral, les convoitises antarctiques, le poids de la dette, les inégalités sociales, les mouvements de guérilla, les considérables conséquences du conflit des Malouines et bien entendu… le cartel de Medellin. On rencontrera la même fine sobriété au chapitre suivant pour caractériser en quelques pages la position des divers États européens, puis, plus loin, à propos des fabrications d’armement, et enfin, vers la fin de l’ouvrage, dans l’énoncé des points de convergence entre les intérêts européens et latine-américains.
Le non-spécialiste dispose ainsi d’une documentation nécessaire et suffisante pour appréhender les principaux centres d’intérêt relatifs au sous-continent : la fragilité des régimes démocratiques face à des militaires certes en relative perte de vitesse, souvent humiliés, mais curieusement proches de la Bundeswehr (p. 75) et qui ne sont pas forcément les plus bellicistes du secteur ; la chronique maladresse yankee appliquée à la stratégie générale et à la lutte antidrogue ; la présence « modeste et peu coûteuse » des Soviétiques, douchés par l’« échec sanglant des tentatives insurrectionnelles des années 1960 et 1970 » et ayant renoncé à mettre en avant le modèle cubain ; la « percée » du Pacifique, avec la pénétration de commerçants et financiers japonais appuyés sur des colonies de compatriotes non négligeables, tandis que la présence chinoise est plus « ténue ». Le résultat de toute cette agitation autour de gens au sang chaud qui dansent sur les volcans de la cordillère des Andes est la persistance de nombreux germes de conflits, encore qu’il soit difficile, même pour un descendant des revanchards d’Alsace-Lorraine, de comprendre qu’on rêve de s’étriper pour quelques arpents de pampa ou de neige sud-polaire…, mais il est vrai que lesdits territoires recèlent nombre de gisements de pétrole et de fabuleux métaux.
L’aspect le plus constructif aux yeux d’un Européen réside évidemment dans les perspectives de collaboration. La présentation en est ici plutôt pessimiste. Si les liens bilatéraux sont anciens et solides (influence allemande au Chili, italienne en Argentine), si l’Espagne ne peut renier sa progéniture, la France est maigrement représentée et le « discours bienveillant » avec un œil sur Kourou ne suffit pas à remplacer le prestige de nos pères. Quant à l’approche globale, elle reste timide. Du côté européen, il existe d’autres priorités, traditionnelles ou plus récentes. En face, malgré le désir de chercher un contrepoids aux entreprises nord-américaines et en dépit des efforts des internationales politiques, on est très loin d’atteindre le degré de cohésion interne de la Communauté économique européenne (CEE). Finalement, « les facteurs d’éloignement sont plus puissants que les éléments de rapprochement ».
Dans la foulée, la conclusion est d’une extrême prudence. Le trio se refuse à jouer les prophètes. Il insiste toutefois sur l’intérêt de la partie à jouer. Qu’il soit remercié en tout cas d’apporter la lumière sans effets inutiles et sans souci de véhiculer quelque idéologie. ♦