La politique internationale
Tâche ambitieuse et méritoire que l’élaboration d’un traité (si l’on ose dire, en pareille matière !) de politique internationale, destiné à fournir des règles applicables à la compréhension et à l’étude des situations inattendues et mouvantes qui surgissent sur le devant de la scène mondiale.
Philippe Moreau Defarges commence par considérer le « milieu ». À la manière des tacticiens, il procède à l’analyse des facteurs, et en particulier d’un « cadre espace-temps » évoluant rapidement de nos jours sous l’effet de la réduction des distances et de l’internationalisation des problèmes. Dans une seconde partie, il codifie en quelque sorte la politique internationale en mettant en évidence ses buts et ses moyens et en faisant apparaître la cohérence profonde des actions intérieures (le jeu de dames, voire les dominos débraillés, quelque chose qui sent le zinc du bistrot) et extérieures (les savants échecs ou le noble poker, avec un langage feutré riche en messages codés). Il expose enfin les manifestations : guerres, aides, négociations, celles-ci allant à l’heure actuelle jusqu’à la pratique de rencontres bi- ou multilatérales quasi institutionnelles.
À la recherche de jalons et de constantes, l’auteur puise donc dans l’histoire, tout en débouchant sur l’actualité la plus brûlante (y compris pays Baltes et réunification allemande). Reagan est cité plus souvent que Talleyrand et les fusées de Cuba l’emportent sur la guerre des Boxers. Quant à Gorbatchev, il est champion sur la liste des noms propres. La démarche dialectique est sans cesse présente, tant elle paraît dominer les relations internationales : insularité-encerclement, statu quo-bouleversement, secret-publicité… au fond, la généralisation des oppositions à la Mackinder.
Chacun trouvera ses bonnes pages en fonction de sa formation et de ses préoccupations. Hasardons-nous pour notre part à recommander à l’attention des lecteurs les passages sur l’importance des frontières (ô Transylvanie !), sur la mémoire (bien souvent trafiquée) et la nostalgie des peuples, sur la notion d’engrenage face aux « facéties grimaçantes de l’histoire » (l’exemple le plus parfait semble se situer en juillet 1914) ; et aussi sur les pièges de la victoire « situation toujours un peu amère et équivoque » et sur les divers aspects de la « crise » qui, de phase exceptionnelle, tend à se changer en « conjoncture permanente ». Mais l’ambition de PMD (si l’on peut se permettre ce raccourci, conforme aux usages du jour) réside évidemment dans l’usage du tout et non de quelques morceaux de bravoure. Le plan rigoureux de l’ouvrage, à vocation didactique, vise à l’unité et à la progressivité.
Sans oublier de noter au passage nombre de formules bienvenues (« l’abstention, une faiblesse ; l’intervention, un piège »), on ne peut que souligner l’intérêt d’une telle œuvre à la fois pour l’expert, pour l’étudiant et pour l’homme cultivé désireux de disposer de guides pour sa méditation devant la carte, indispensable outil du stratège professionnel ou amateur. Il convient également de considérer la façon dont ont été surmontés les inévitables risques de l’entreprise. Le choix du processus analytique impose de revenir sous des angles divers vers les mêmes événements majeurs : c’est ainsi que, contrairement à la crise du pétrole qui fait l’objet d’un récit complet et détaillé au chapitre VIII, le conflit du Vietnam apparaît au détour de multiples pages ; cette dispersion, même si elle entraîne à l’occasion des redondances, est justifiée dans la mesure où l’objectif n’est pas ici de décrire, mais de tirer illustrations et enseignements. D’un autre côté, le souci de classification peut dériver vers l’esprit de système, assorti de quelques truismes (« les problèmes intérieurs sont l’affaire d’un État, les problèmes extérieurs celle de plusieurs États », p. 159) ; mais l’auteur corrige en insistant lui-même sur le flou de maintes situations et sur la difficulté, pour les personnages de sa pièce, à s’en tenir à de strictes règles de conduite (avec un clin d’œil outre-Atlantique : « La morale ne saurait se soustraire à l’épreuve du réel »), à une époque où « les schémas se brouillent ».
Il serait tentant, pour les maniaques des formules, de parler ici d’aide-mémoire ou encore de « Michelin des relations internationales ». Ce serait injuste et insuffisant. Il s’agit bien d’un ouvrage de fond. Restons reconnaissants envers l’auteur de cette inhabituelle incursion de l’esprit scientifique dans l’univers fragmenté des grands desseins et des occasions fugitives, si souvent livré au discours « psychologico-sentimental » des « bâtisseurs de légitimité ». ♦