L’entreprise aux aguets
Voici un petit livre agréable et vite lu, non par manque de matière mais parce que, sur un sujet d’apparence austère, l’auteur énonce simplement des idées claires (auxquelles, soit dit en passant, quelques schémas accrocheurs n’ajoutent pas grand-chose). Champion de la propriété industrielle, cautionné par une préface du directeur général de l’Industrie, Jacques Villain expose en deux parties l’attaque et la défense.
Le recueil de l’information est vital pour l’entreprise d’aujourd’hui, face aux besoins changeants d’un marché international « turbulent » à satisfaire au moyen de techniques en évolution rapide. Tout comme le renseignement est indispensable à l’élaboration de la manœuvre d’une armée, l’information est à la base de l’innovation et de l’anticipation, conditions de la survie. Par conséquent, en poursuivant l’analogie voulue avec l’organisation militaire, l’entreprise doit monter son « deuxième bureau », capable d’analyser les besoins et de discerner l’utile parmi l’énorme masse disponible, tout en étendant son champ d’investigation au contexte. La tâche est du niveau de la « DG », elle réclame des hommes de qualité, curieux, cultivés, tenaces. Chez nous, des grands comme Renault, ou des moyens comme Lafuma savent assurer cette veille.
Les sources, innombrables et riches, livrent : 70 % d’informations « ouvertes » parmi lesquelles, à côté des revues et colloques où la naïveté et l’orgueil laissent filtrer des trésors, figurent les brevets, l’INSEE ou les diverses agences qui savent tout sur tout ; 20 % de « fermées légales », la plus banale provenant tout bonnement de l’achat du produit concurrent ; 10 % seulement fournies par l’espionnage (encore que quelques firmes mondiales célèbres aient été fortement portées sur la chose !).
Entre les Japonais, qui estiment que « chercher ce qui a déjà été trouvé est un péché mortel » et les Soviétiques qui « ont pris le parti d’utiliser l’Occident comme une banque de données » et font travailler leurs agents sur 244 entreprises françaises, dont 36 dans le Var (l’auteur est précis ; serait-il en outre toulonnais ?), nos industriels seraient bien avisés de ne dormir que d’un œil. Car il faut aussi savoir se protéger, Cartier ou Vuitton en savent quelque chose, et Villain conte de savoureuses histoires de cravates-éponges et de semelles-tampons.
On se doutait déjà que si on portait une serviette bourrée de documents passionnants et qu’une superbe blonde vous déclarait sa flamme sur la place Rouge, elle avait de fortes chances d’émarger au KGB. Mais un véritable esprit de protection, fondé sur des règles simples, reste à acquérir et l’État français, pour y aider, dispose d’un arsenal législatif et réglementaire non négligeable contre la curiosité malsaine.
À bon entendeur, salut ! Convaincant sans être ennuyeux, scientifique synthétique et spécialiste pédagogue (tous termes pas forcément synonymes), Jacques Villain mérite d’être lu et écouté. ♦