La politique de défense de la France
Après une synthèse très « littéraire » de Dominique David, émaillée de formules bien trouvées (de la « grogne gaullo-américaine » au « galopin nucléaire ») et où nous avons plus particulièrement apprécié le chapitre intitulé « globalité politique et stratégique », ce recueil présente les Tables de la Loi de la Ve République en matière de défense. Articulé en cinq parties, il comporte en nombre à peu près égal (sur un total de 46), d’une part des textes officiels, législatifs ou réglementaires, ainsi que des traités et accords diplomatiques, d’autre part des documents (études, articles, discours, conférences) émanant de responsables politiques ou d’auteurs ayant acquis le statut de stratège professionnel.
Dans la première catégorie figurent notamment – à tout seigneur tout honneur – des extraits de la Constitution et de la fameuse ordonnance de janvier 1959, avec cette définition lapidaire inscrite en tête de l’article Ier, dont on se demande si elle est sortie d’un trait sous une plume illustre ou si son libellé résulta d’allers et retours entre de modestes rédacteurs et d’augustes correcteurs… Suivent d’indispensables références, parmi lesquelles le Livre blanc de 1972 qui reste largement d’actualité. Lui aussi, d’une rigueur qui tourne au lyrisme pour saluer la gendarmerie mobile « toujours disponible, loyale, courageuse et sereine », est admirablement rédigé, tout comme l’exposé des motifs de la première loi de programme… Trente ans déjà de programmation militaire, en six lois chapeautées ici par un utile tour d’horizon mettant en relief les avantages du procédé : engagement parlementaire et rationalisation de l’effort, et par le précieux tableau récapitulatif de la page 181. Notons parmi les éléments saillants de la partie diplomatique, en suivant le découpage du livre et non l’ordre chronologique, aussi bien la relance de l’Union de l’Europe occidentale (UEO) dans le mémorandum de 1984 et l’appel au triumvirat atlantique de septembre 1958, que la place accordée aux relations privilégiées franco-allemandes par le président Mitterrand ou que le brillant commentaire de Pierre Dabezies sur les causes de succès, mais aussi les limites de nos interventions outre-mer.
La seconde catégorie, celle des textes de nature plus individuelle, offre des lignes prophétiques dans le seul extrait antérieur à 1958 : l’amiral Castex, à côté de considérations qui apparaissent naïves avec le recul, avait découvert dès 1945 la dissuasion proportionnelle et l’équilibre de la terreur, avant d’autres qui formalisèrent l’affaire en termes parfois quelque peu sibyllins. Ne jetons pas pour autant la pierre à nos modernes Clausewitz : la trouvaille de Poirier, « absence par impossibilité et impossibilité par absurdité » est assez géniale, de même que ses analyses désormais classiques de la crédibilité. Le lecteur retrouvera également le « tous azimuts » du père fondateur Ailleret, la « chute » du discours giscardien sur la bataille de Fontenoy, ces « propos étranges sur l’ennemi intérieur » dénoncés par Raymond Barre, l’appel du grand large chez Charles Hernu vantant les mérites de la Force d’action rapide (FAR), les doutes de Paul Quilès à propos de l’Initiative de défense stratégique (IDS) ou encore l’évolution de l’« ultime avertissement » décrite par Jean-Pierre Chevènement. Bien souvent, l’Institut des hautes études de défense nationales (IHEDN) offrit une tribune de choix aux orateurs, présidents et ministres.
Voilà donc une belle leçon d’histoire contemporaine, mais cet ouvrage était-il nécessaire ? Oui sans doute, même s’il existe déjà des dossiers d’enseignement ou les publications du Journal officiel, et pour plusieurs raisons.
Tout d’abord, il constitue un instrument de travail bien conçu, limité à des textes courts et judicieusement choisis, précédés pour la plupart d’une note liminaire précise. Il est bon par exemple d’être alerté sur la confusion fréquente entre « Conseil » et « Comité » de défense, ou encore d’avoir sous la main la lettre, si souvent invoquée, des articles 5 et 6 du traité de l’Atlantique Nord.
Il permet ensuite d’assister rétrospectivement à la mise au point d’une conception cohérente de la défense française (alors que nous étions privés du « confort » intellectuel que procure un ennemi héréditaire), de suivre sur un délai suffisant le degré de réalisation des objectifs initiaux et de constater ainsi une continuité qui ne fut pas rompue par l’alternance de 1981. Il n’interdit pas ce faisant de relever quelques euphémismes (« la défense intérieure du territoire restera dépendante des consommations de matériel que les opérations d’Algérie auront exigées et qu’il n’aura pas été possible de remplacer » ; loi de programme 1960-1964), ni de s’interroger sur les classiques ponts aux ânes de l’atome tactico-préstratégique ou de l’Alliance sans l’Otan, sujets sur lesquels trop furent écrits et déclaré sur un ton définitif pour qu’ils soient aussi évidents qu’on veut bien le proclamer.
Il fournit enfin à l’insolent, si par hasard il s’en trouvait un, l’occasion de remarquer qu’en France, si nous n’avons pas de pétrole (et si nous avons aussi essuyé quelques revers), nous ne manquons en tout cas ni d’auteurs de talent, ni de conférenciers émérites sur le thème de la défense. ♦