Intégration et déviance au sein du système international
Intégration et déviance au sein du système international
Intégration et déviance au sein du système international est le premier ouvrage de la nouvelle collection « Relations internationales » des Presses de SciencesPo dirigée par Guillaume Devin et consacrée à des travaux originaux dans ce domaine en pleine réflexion sur lui-même. Dès la préface, Bertrand Badie donne le ton : « [on] a tellement tendance à regarder les relations internationales comme un effet de puissance que d’autres entrées, plus sociologiques et souvent plus parlantes, ont été jusqu’ici négligées ».
Soraya Sidani est docteur en science politique, enseigne entre autres à la Sorbonne-Abu Dhabi et dirige à Dubaï le Programme de recherche sur la lutte contre la piraterie maritime et sur la reconstruction de l’État en Somalie. Son originalité, dans cet ouvrage, est de transposer les résultats de l’analyse sociologique classique, et en premier lieu, celle d’Émile Durkheim, dans le domaine des relations internationales. Elle fait l’hypothèse que les acteurs étatiques forment une société, la société internationale, au même titre que les acteurs individuels forment une société au sens classique. À partir de cette hypothèse, elle observe les comportements de ses acteurs étatiques avec une grille de lecture audacieuse, lui permettant de formuler une thèse originale.
La société internationale est aujourd’hui traversée par un mouvement d’intensification des liens et des échanges entre les États, sous la forme notamment de constructions régionales, d’alliances économiques, de partage de valeurs et de pratiques incarné dans des normes onusiennes multilatérales. Or, sous ce solidarisme effréné se cachent, pour l’auteure, de nouvelles postures de puissance : la déviance par rapport à ce mouvement d’intégration international s’explique, soit comme une exclusion subie (le développement socio-économique et politique d’un État peut être insuffisant, par exemple, pour lui permettre de suivre le mouvement), soit comme un choix rationnel, privilège du fort ou, au contraire, contestation de l’ordre imposé par les puissances dominantes.
Ainsi, les États-Unis verraient les traités multilatéraux comme un instrument de limitation de leur puissance. Leur reconnaissance de ces traités est souvent implicite : c’est le cas par exemple de Montego Bay ou de la compétence de la Cour pénale internationale. Pourtant, ils préfèrent préserver leur rôle d’ultimate enforcer, de garant du droit au-delà de toute autre autorité exécutive sur la scène internationale. L’auteure cite Pierre Hassner : les États-Unis « s’arrogent le droit absolu de juger souverainement du bien et du mal, notamment en ce qui concerne l’emploi de la force, et de s’exempter avec une bonne conscience totale des règles qu’ils proclament et appliquent pour les autres ».
La déviance contestatrice, en revanche, revient plutôt aux pays émergents, tels les BRICs qui cherchent à agir comme un soft balancing face à la superpuissance américaine ou alors aux rogues states dont relèvent encore aujourd’hui l’Iran et la Corée du Nord.
Le multilatéralisme et l’intégration internationale resteraient finalement l’apanage unique des puissances moyennes : « [trop] faibles pour exercer une hégémonie, trop puissantes pour renoncer à l’action internationale, elles se tournent vers les Nations unies pour étendre leur influence et pour optimiser leurs capacités ».
La notion de déviance et les résultats de la sociologie appliqués à l’analyse des relations internationales paraissent pertinents. Pourtant, l’hypothèse sur laquelle est basée cette étude est loin d’aller de soi : l’acteur étatique est une entité collective et il peut sembler cavalier de lui plaquer les résultats d’études sociologiques faites sur des acteurs individuels. Les nombreux travaux, comme en économie sur la théorie du choix social, avec K. Arrow par exemple, ou en philosophie sur la question des attitudes collectives, avec M. Gilbert ou J. Searle, ou encore en logique sur la théorie de l’agrégation, avec C. Liste ou P. Pettit, montrent qu’il n’est pas si évident de passer des logiques de comportement individuel aux logiques de comportement collectif… À moins de considérer qu’un État ne parle que par la seule voix de son leader, ce qui est effectivement le cas des dictatures. Ne retrouverait-on pas là l’exemple de certains rogue states déviants de Soraya Sidani ? Intéressant… Mais quid des États démocratiques ? Le travail mérite, il est sûr, d’être poursuivi.