Edouard de Cointet de Fillain (1911-1951)
On aborde ce livre par estime pour une famille (l’ouvrage disponible chez le capitaine de frégate de Cointet ; 4, rue de Clichy, 75009 Paris) et respect d’un destin. On le lit, en fait, avec la plus grande attention tant l’ouvrage résume, à travers les aléas d’une vie, la grandeur et les souffrances de notre histoire coloniale. Que de talent et que de dévouement pour une œuvre de civilisation qui marque encore l’Afrique comme la péninsule indochinoise.
Le fil directeur est l’existence exemplaire d’un chef de bataillon d’infanterie coloniale mort pour la France, en Indochine, en 1951 : Édouard de Cointet de Fillain. Le voici arrivant, en 1932, jeune sous-lieutenant de 21 ans, dans l’Ouaddaï, au Tchad, à l’issue d’un voyage épique : parti le 28 mai de Marseille il n’arrive à destination que… le 29 septembre après un périple qui, à lui seul, donne une idée de l’immensité de l’Empire colonial français. Quelques fonctionnaires et soldats, perdus dans l’espace, défendent avec les moyens du bord et un talent inégal une « certaine idée » de la France, généreuse, civilisatrice, quelquefois en contradiction avec les directives de Paris. Édouard de Cointet perd un bras en tuant un lion qui dévastait les villages de ses administrés. En 1934, le voici de retour en France, décoré de la Légion d’honneur, mais sous menace de réforme. Finalement, le bon sens prévaut et il entame, en 1936, une carrière dans les affaires indigènes et les goums marocains. C’est dans le bled berbère que le jeune officier semble le mieux réaliser son « grand œuvre » : celui d’un chrétien au service d’une population islamique qui respecte en lui le croyant et lui donne, en réponse, son dévouement.
De retour en France, le capitaine de Cointet se marie au début de la guerre, à la veille de cinq années d’une éprouvante captivité en Allemagne. À la Libération, quelques années de bonheur lui sont accordées. Il s’en retourne au Maroc en famille avec ses deux enfants. Mais la soif de servir appelle le chef de bataillon de Cointet vers d’autres cieux : volontaire pour l’Indochine, il y arrive en 1949. « Je me dis quelquefois que je n’aurais pas dû demander cette affectation en Indochine, écrit-il à sa femme, mais non, je ne pouvais pas ne pas le faire : j’ai été trop planqué jusqu’à présent ». Dans ce qu’il appelle « le royaume du désordre, du mensonge et de l’incohérence », où sa famille, à son grand regret, ne peut le rejoindre, il demande un commandement opérationnel. C’est à la tête de son bataillon, tombé dans une embuscade, qu’il est fait, une fois encore, prisonnier, le 15 août 1949. Il meurt, en juillet 1951, au cours d’une tentative d’évasion à quelques kilomètres d’un poste français.
Écrit avec élégance et clarté, agrémenté de photographies, de cartes et de croquis, nourri des réflexions qu’inspirent à Édouard de Cointet ses expériences, cet ouvrage est un témoignage précieux sur les motivations et l’œuvre de l’élite de nos « coloniaux ».
Quelle marque aura laissé Édouard de Cointet de Fillain ? Sans doute, en dépit des vicissitudes de l’histoire, l’image d’une France protectrice et civilisatrice au Tchad comme au Maroc, et aussi en Indochine. ♦