La défense après Reykjavik : initiatives à prendre par la France
Après avoir analysé les options zéro et double zéro (article de février 1988 de la revue), le groupe « Renouveau Défense » étudie les conséquences de l’accord soviéto-américain sur la suppression des Forces nucléaires intermédiaires, qui « crée un déséquilibre nucléaire nouveau, aggravant les effets du déséquilibre classique ancien ». La dynamique amorcée par Gorbatchev risque d’aboutir à la dénucléarisation de l’Europe, et un doute se répand à tort ou à raison sur l’engagement des États-Unis en Europe : il importe donc que soient maintenues la présence américaine et la dissuasion nucléaire. Dans cette optique, le groupe estime globalement positives, contrairement à d’autres observateurs, les conclusions du rapport Ikle-Wohlstetter sur la dissuasion différenciée (discriminate deterrence).
Ce dossier, adressé aux hautes autorités françaises et à certaines personnalités alliées, formule des propositions en vue d’une remise en ordre de l’Alliance, de la création de son pilier européen, et des initiatives à prendre par la France en direction des Alliés. Ces dernières constituent selon eux la clé de l’ouverture du dialogue nécessaire.
L’adoption par la France d’une doctrine de dissuasion « sur les avants » serait susceptible d’ouvrir la discussion sur la rénovation de la stratégie de l’Alliance. Elle favoriserait l’harmonisation des doctrines, française et alliée. Les armes de théâtre, américaines et françaises, participeraient à cette dissuasion, qui n’exclurait pas une menace d’actions offensives au-delà du rideau de fer. Sur les négociations de désarmement, une position commune viserait par priorité à rétablir l’équilibre classique et nucléaire en Europe, sans égard à la réduction des arsenaux centraux des deux Grands, si possible au-delà des 50 % envisagés.
La création d’un Conseil européen de défense, assorti d’un secrétariat permanent et d’un comité des Chefs d’État-major, serait attendue des concertations engagées à deux niveaux : l’européen et l’atlantique. Le commandement allié devrait être réorganisé, de façon à mettre les commandements nationaux mieux à même d’exercer leurs responsabilités en temps de crise. Un commandement suprême de coordination pourrait être créé au-dessus du Commandant suprême des forces alliées en Europe (SACEUR) et du Commandement allié Atlantique (SACLANT).
L’impulsion de ces réformes n’est possible que si la France est « débarrassée de sa gangue des dogmes et des mythes », en particulier d’un concept d’ultime avertissement qui ne serait pas lié à la manœuvre des forces. Au-delà de la solidarité affirmée dans les discours politiques, le renouveau de la Défense consiste à dissiper l’ambiguïté sur l’engagement français, à dissuader l’ennemi d’engager la bataille par la menace du nucléaire de théâtre (neutronique et de portée allongée), et à ouvrir le territoire français à la logistique alliée.
En tout état de cause, les ambitions affichées par la politique française de défense exigent que l’effort national soit soutenu. Il devrait dans un premier temps être porté à 4 % du PIBm, avec « un effort accru dans le domaine des armes classiques modernes », la modernisation de la Force nucléaire stratégique (FNS) étant assurée « dans les limites de la suffisance quantitative actuellement atteinte ».
En souhaitant que s’actualisent et s’harmonisent les stratégies de la France et de l’Otan, les rédacteurs de cette brochure renouvellent l’idée d’une dissuasion globale. Solidement argumentées, leurs réflexions ouvrent la voie à une défense européenne, réaliste parce qu’elle reste atlantique et qu’elle associe la Grande-Bretagne au dialogue franco-allemand. Reste à persuader les instances politiques de conduire cette concertation, dans le climat d’incertitude engendré par l’évolution des situations intérieures et des relations internationales.