Savimbi, demain la liberté
Trois hommes semblables et différents à la fois viennent d’unir, dans un livre, leur volonté de témoigner sur une affaire africaine qui leur tient à cœur. Le premier, Yves Bréheret connaît, aime et ressent l’Afrique. Ses reportages sont connus des africanistes depuis bien des années, qui y puisent une information teintée du romantisme de ceux qui donnent tout pour une cause ou un pays, et de ce soupçon de naïveté d’où sortent les convictions affirmées. Le second, Édouard Sablier, s’est attaché depuis plusieurs années à démontrer à la grande opinion publique du monde libre francophone les éléments et relais de la politique étrangère soviétique de modification par tous moyens de l’organisation sociale planétaire. Le troisième, Olivier d’Ormesson, parlementaire européen, nous fournit un texte mêlant des notes de voyage et une chronologie de l’action du Parlement européen à propos d’un homme : Jonas Savimbi, chef de la résistance en Angola.
Ce livre est avant tout engagé pour que la société internationale n’oublie pas l’homme qu’Alexandre de Marenches avait dépeint avec nuance et subtilité en quelques lignes dans son premier ouvrage (1). Il souligne avec émotion un problème d’une grande complexité.
L’opinion publique connaît en définitive le scénario simple de cette affaire, selon qu’elle se situe à l’Ouest ou à l’Est. Pour celle de l’Est, les peuples opprimés par les colonisateurs capitalistes portugais ou belges du territoire angolais se sont progressivement révoltés jusqu’à faire que le Portugal s’engage militairement contre eux, et que ces mêmes peuples, qu’ils soient en Angola ou au Mozambique finissent par remporter la victoire sur l’impérialisme, qui ne s’avoua pas pour autant vaincu et suscita, par l’intermédiaire du pouvoir blanc d’Afrique du Sud, des guérillas harcelant les gouvernements légitimes, afin que l’Afrique australe et ses richesses essentielles ne fassent pas défaut à l’industrie des pays capitalistes impérialistes. Si l’opinion publique se situe à l’Ouest, il s’agit d’une guerre de décolonisation qui a vu plusieurs factions s’engouffrer dans le vide laissé par les Portugais, et qui n’ont pas encore fini, quatorze années plus tard, de se harceler. Viennent se greffer sur cette situation conflictuelle interne une aide massive des pays du Pacte de Varsovie et de Cuba aux gouvernements légaux d’Angola et du Mozambique et à l’ANC (Congrès national africain) d’Afrique du Sud, et une aide des pays de l’Otan, par l’intermédiaire ou non de l’Afrique du Sud, vers les mouvements de résistance du Mozambique, et surtout d’Angola, c’est-à-dire à celui de l’UNITA (Union nationale pour l’indépendance totale de l'Angola) qu’incarne Jonas Savimbi.
Hélas ! Là s’arrête l’explication du phénomène angolais. À aucun moment le problème des constructions nationales, de « l’ethnéïsme » et de l’organisation des nouveaux États n’est abordé. Pourtant, là réside la clé de la compréhension de ce conflit que l’on veut présenter uniquement comme Est-Ouest. Or, une partie de ce livre, celle rédigée par Bréheret, décrit remarquablement la mécanique ethnique de conquête du pouvoir, le défaut d’identification du territoire « national » de chaque ethnie avec le territoire de l’« État » d’Angola. S’ajoutent à cette problématique complexe, si complexe que peu d’ethnologues ont osé corréler (2) construction de l’État, consciences ethniques et relations internationales, les facteurs religieux, tout aussi importants. On apprend ainsi les répartitions exactes entre catholiques, protestants et animistes dans la population, et les attitudes politiques de synergie ou de conflits qu’elles engendrent.
Au-delà d’un homme, Jonas Savimbi, dont on s’accorde à admettre qu’il est devenu l’élément inévitable dans toute négociation du règlement interne angolais, même si on finit par l’oublier dans les accords internationaux supervisés par les deux Grands, notamment par l’accord de New York du 22 décembre 1988, au-delà même de l’Angola, on peut trouver dans ce livre une explication ethnographique passionnante, qui illustre une partie de la véritable problématique des relations internationales africaines contemporaines.♦
(1) Alexandre de Marenches, Christine Ockrenl : Dans le secret des princes ; Stock, 1986 ; 341 pages.
(2) Jean-Louis Amselle et Elikia M’Bokolo : Ethnies, tribalisme et État en Afrique ; La Découverte, 1985.