The Military Balance 1987-1988
Ce document annuel de l’Institut international d’études stratégiques (IISS) est sorti un peu plus tard que d’habitude (le 11 novembre) sous la signature de son nouveau directeur, François Heisbourg. Comme les années précédentes, l’ouvrage se présente en trois parties. La première, de loin la plus importante, est une analyse détaillée pays par pays, des forces militaires. États-Unis et Union soviétique d’abord, puis en regroupant les nations par alliance. Otan et Pacte de Varsovie, ou par région géographique. La deuxième partie, d’une quinzaine de pages, contient des tables donnant des renseignements sur les vecteurs nucléaires, les armes nucléaires de théâtre, les principaux accords de ventes d’armes, les effectifs, les dépenses militaires. La troisième partie donne des analyses sur l’équilibre des forces stratégiques, sur les forces conventionnelles en Europe, les dépenses d’armement de l’Otan, du Japon et de la Suède, etc.
Les renseignements chiffrés feront le bonheur des experts. Plus directement accessibles sont certains commentaires figurant en tête des chapitres consacrés à chaque grande puissance et aux alliances. On y relève que les Américains ont retiré du service les derniers ICBM (Intercontinental Ballistic Missile) Titan et ont placé 23 missiles MX dans des silos de Minuteman III. Un total de 50 MX serait prévu, 50 autres, mobiles sur rails, attendraient l’approbation du Congrès. Le missile Trident II a été essayé en vol mais les expérimentations à la mer n’auront lieu qu’en 1988. 54 bombardiers B1 ont été livrés mais il y a des difficultés du côté de leurs contre-mesures électroniques. Après le 131e B-52 transformé pour porter les missiles de croisière, les Américains ont dépassé le plafond prévu par les Accords SALT II (pour la limitation des armements stratégiques) Dans le domaine conventionnel, on remarque la réorganisation des forces spéciales américaines et la disparition du Readiness Command. Dans le domaine budgétaire, les difficultés actuelles de l’Administration sont bien connues et ne sont pas dues seulement au Gram-Rudman-Hollins Act (1985).
L’Union soviétique continue la modernisation de ses forces militaires, ICBM et SLBM (Submarine Launched Ballistic Missile) en particulier. Ses bombardiers commencent à être équipés de missiles de croisière. On a identifié deux « corps d’armée unifiés » sans qu’on sache très bien à quelle idée correspond ce nouveau type de grande unité. La modernisation entraîne une complication du matériel, l’écart technologique entre l’Est et l’Ouest tendant à se réduire. Les mesures économiques de Gorbatchev semblent appeler un report de ressources du militaire sur le civil, mais les investissements consentis pour la défense ne peuvent être reconvertis. Les militaires semblent soutenir Gorbatchev et se plaignent du retard technologique de leur pays. La modernisation en cours ne paraît donc pas menacée, mais les réformes exigeront pour réussir des changements de structures qui pourraient avoir des conséquences politiques.
L’ouvrage signale les difficultés économiques et financières des membres européens de l’Otan. Dans un avenir prévisible, il semble que ces dépenses varieront peu et pourraient même diminuer. Les prix des matériels augmentent plus vite que l’inflation. Un niveau constant en termes réels des crédits risque d’entraîner une diminution du nombre des équipements et des restructurations des forces.
La comparaison en forces stratégiques des deux superpuissances fait apparaître un avantage global pour les Américains (13 873 ogives contre 11 044) mais 58 % des ogives soviétiques sont portées par des ICBM contre 16 % chez les Américains, ceux-ci l’emportant grâce à leurs bombardiers. L’IISS se montre d’une extrême prudence dans la comparaison des forces conventionnelles en Europe et, en fait, se demande si le terme d’équilibre (balance) a un sens. Les deux stratégies sont complètement différentes. Après une discussion fort intéressante. L’IISS renonce à porter un jugement. Il est bien évident qu’un catalogue de moyens militaires est un document fondamental, mais il ne donne qu’une partie de la situation. Il reste à connaître la valeur des hommes, du matériel, de l’entraînement, de l’organisation du commandement. Il faut aussi situer chaque problème stratégique, opérationnel ou tactique, dans son contexte politique et géographique. ♦