Le moral des troupes, 1962-1986
Un livre noir intitulé Le moral des troupes écrit par Jean Mialet ! Le contraste ne peut qu’exciter la curiosité. Elle n’est pas déçue. En 250 pages, le moral, ce facteur d’efficacité militaire, est passé au crible de l’expérience et de la sagacité des deux auteurs.
C’est la nature et la qualité des armements qui agissent le plus fortement sur le moral des militaires. Les constatations sur ce point transposent chez ces derniers le rapport fécond entre l’homme et son outil. L’abandon des gros bataillons et le retour d’Algérie ont rendu encore plus sensible cette composante du moral des forces. Elle pèse pourtant d’un poids différent selon les armées : la distinction est clairement établie entre l’Aviation et la Marine qui ont pleinement bénéficié du saut qualitatif de l’atome, tandis que l’Armée de terre, restée tributaire des effectifs, est plus sensible à la permanence et à la qualité des armements conventionnels.
La deuxième partie est incontestablement la plus riche. Elle doit sans doute beaucoup à l’expérience personnelle et à la passion de Jean Mialet. Elle explore un secteur social difficile et délicat entre tous : l’interface entre la nation et l’armée qui bénéficie ici d’un éclairage exceptionnel. La lente reconquête de l’opinion après l’Algérie, la persévérance de quelques civils et officiers pour rétablir les ponts entre les armées, les syndicats, les partis politiques et la presse ; les préoccupations de chacun sont examinées en détail en même temps que le jeu relatif de ces centres de pouvoir sous l’œil plutôt favorable de l’opinion publique. C’est une tranche d’histoire qui est brillamment mise en perspective. En fin de compte, les militaires retrouvent la considération qu’ils attendent de la nation ; elle se traduit au plan financier à partir de 1976-1977 par un redressement des budgets et une revalorisation des soldes.
La dernière partie est certainement la plus idéologique. Le rôle social, donc politique, des armées tel qu’il est ici envisagé peut prêter à discussion. Néanmoins Jean Mialet et Jean Schlumberger posent les vrais problèmes de l’heure : mobilité géographique et professionnelle des militaires, le rôle de leurs femmes, la valeur morale des appelés. Bien entendu, ils ne donnent pas encore de réponse, le temps fera son œuvre. Chaque période a ses difficultés et les auteurs font pressentir que les années à venir seront celles de l’aspect social du moral.
Ce livre est dans la tradition de Jean Mialet : il innove. C’est le premier exemple d’ouvrage s’intéressant à cet aspect spécifique de la science militaire. Il a aussi le grand mérite de définir une grille d’observation et d’analyse du moral des armées. Toutefois, comme il est annoncé dans l’introduction, ce document est subjectif. La présentation scientifique et rigoureuse des états d’âme des militaires par exploitation des rapports sur le moral reste à faire.