Un capitaine sans importance
Un roman explique parfois mieux une situation que les études les plus fouillées. Dans cet ordre d’idée, Patrice Franceschi réussit un doublé. Son Capitaine sans importance nous fait pénétrer à l’intérieur de l’armée soviétique tout en mettant en lumière les éléments les plus divers de la guerre en Afghanistan.
Son héros, Dimitri Romanov, est un officier sans faille, pénétré de ses devoirs, assuré de ses convictions. Il était parti à la tête de sa compagnie pour chasser d’Afghanistan les impérialistes américains et chinois. Il n’a rencontré que des hommes qui luttaient pour leur terre, leurs femmes, leurs enfants. Le précipice entre la vérité inculquée et la vérité toute simple découverte dans le sang et l’horreur est le sujet de cette histoire racontée sans détours, sans ménagements, sans faux-semblants idéologiques, à travers la vie et la mort d’un officier soviétique de trente ans à qui la vie n’épargne rien : ni l’expérience des tortures, ni les bombardements des civils, ni les assauts meurtriers, pas même d’avoir à assumer, un jour, seul au milieu des décombres, la certitude définitive de combattre pour un mensonge.
Patrice Franceschi a été le premier occidental à connaître la résistance afghane. Il était à Kaboul au moment de l’invasion soviétique et a pris le maquis avec ses amis afghans. Depuis, il a décidé de comprendre ceux d’en face. Il a parcouru l’URSS, épié les réactions des militaires qu’il a rencontrés de près et de loin et interrogé ceux qui les côtoient. Ces impressions ont complété celles que lui avaient laissées les prisonniers rencontrés en Afghanistan même. Grâce à ce travail minutieux, la femme du capitaine, ses troupiers, les officiers de son corps, mais surtout Dimitri Romanov, deviennent des êtres inoubliables.
Le livre donne tous les détails sur la vie d’un soldat soviétique, ses préoccupations, les trafics auxquels il se livre pour pallier les défauts d’une intendance incapable ou pour oublier, grâce au haschich, l’absurdité de son existence. En décrivant les nombreuses opérations auxquelles son capitaine participe, Patrice Franceschi nous donne aussi la clef de cette incapacité des Soviétiques à maîtriser un pays qui plie pourtant sous leur poids disproportionné. En Afghanistan, ils perdent parce qu’ils sont vulnérables et non parce qu’ils sont faibles.
Un capitaine sans importance pose ainsi une question de première importance : n’existe-t-il pas en Afghanistan des soldats russes qui ressemblent comme des frères au capitaine Romanov ?