De la géopolitique
Le discrédit jeté sur l’école géopolitique allemande en raison de ses liens réels ou supposés avec le nazisme nous a fait mépriser l’œuvre de son chef, le général docteur Karl Haushofer. Il mérite mieux, même si cette œuvre peut paraître assez largement dépassée. Historiquement, elle a eu son importance et certaines idées restent intéressantes, ne serait-ce que pour comparer son point de vue avec celui des grands noms de la géopolitique et de la géostratégie que l’on trouve chez les Britanniques et les Américains, voire dans l’école géographique française, avec Jacques Ancel par exemple, ou l’amiral Castex qui a abondamment fait de la géostratégie sans le dire.
C’est le grand mérite de Jean Klein et du professeur Hans-Adolf Jacobsen de nous présenter des extraits, dont certains inédits, de la correspondance de Karl Haushofer. Il est ainsi rendu accessible au public français grâce à une traduction d’André Meyer qui n’a pas dû être facile à faire pour conserver la pensée de l’auteur malgré une expression assez « alambiquée ». La préface de Jean Klein, d’une trentaine de pages, et l’introduction de Hans-Adolf Jacobsen, d’une cinquantaine de pages, sont du plus haut intérêt pour nous permettre de comprendre ces textes. Jean Klein nous montre d’abord le renouveau dont jouit actuellement la géopolitique. Il situe Karl Haushofer dans son temps, les influences qui ont joué sur lui, nationalisme, pangermanisme, les écrits de gens comme Ratzel et Kjellen, le cadre social, les voyages au Japon, les rapports avec le nazisme montant puis triomphant. Hans-Adolf Jacobsen nous présente une biographie détaillée qui reprend dans un autre esprit certains des éléments donnés par Jean Klein. Apparaissent ainsi des renseignements curieux comme l’ascendance juive de Martha, sa femme, l’amitié avec Rudolf Hess, qui devait protéger la famille pendant de nombreuses années, l’internement à Dachau après l’attentat du 20 juillet 1944, l’exécution de son fils Albrecht, enfin le suicide du couple en 1946.
Karl Haushofer lui-même a écrit que les principaux résultats de la géopolitique allemande s’exprimaient en trois groupes de questions : « la question de l’espace vital, celle des frontières, celle de l’opposition entre la géopolitique océanique et la géopolitique continentale ». Les deux premières ont été trop liées à la propagande hitlérienne et n’ont pu survivre. On constate d’ailleurs que les textes inédits écrits pendant la guerre sont très marqués par les événements et par la présentation qui en était faite dans l’Allemagne de l’époque. Par contre on est frappé par la connaissance de Haushofer des travaux publiés par les Américains et les Britanniques et même de l’histoire militaire américaine. Il est ainsi fait plusieurs fois référence à la « politique de l’anaconda ». C’est le souvenir du nom donné par les journalistes au plan présenté en 1861 au président Lincoln par le général Winfield Scott, pour vaincre les États confédérés du sud. Haushofer reprend cette comparaison pour montrer que les nations maritimes cherchent à étouffer les nations continentales par un encerclement et un blocus ; ces dernières peuvent se défendre en se regroupant pour présenter un bloc trop difficile à encercler et jouissant de ressources propres.
Dans ces textes, ces lettres mais aussi dans la préface et l’introduction, nous pouvons faire une ample moisson de remarques judicieuses, notamment sur le rôle de la géopolitique, son emploi par les dirigeants, la formation de l’opinion publique dans ce domaine austère mais plein d’intérêt. Grâces en soient rendues à Jean Klein et à Hans-Adolf Jacobsen.