Sur Clausewitz
La campagne de 1812 en Russie
Les Éditions Complexe mettent Clausewitz à l’honneur et lui consacrent simultanément deux petits livres.
Le premier regroupe quelques articles et conférences écrits de 1972 à 1980 par Raymond Aron. Comme le dit Pierre Hassner dans la préface, ce recueil sera utile à ceux qu’a rebutés le poids de « Penser la guerre » (1) ; aux courageux qui l’ont lu, il apportera des compléments non négligeables.
On retrouvera d’abord le personnage sévère mais attachant de Clausewitz, patriote prussien bouleversé à Iéna par « la grande catastrophe », travaillant avec Sharnhorst et les réformateurs à en tirer la leçon, quittant enfin en 1812, après l’alliance franco-prussienne, l’armée de son pays pour celle du tsar. Le cosmopolitisme militaire de l’époque ne put atténuer le drame personnel de cette désertion, dont son souverain lui tiendra rigueur.
On admirera à nouveau les subtiles arabesques que Raymond Aron trace autour de la pensée de son héros, mise à l’épreuve de nos conflits modernes. On appréciera particulièrement, au chapitre « La société des États et la guerre », l’analyse des guerres israélo-arabes. « L’impuissance de la victoire » et « la non-suffisance de la destruction des forces armées » y apparaissent en toute clarté. Telle est la grande nouveauté de notre après-guerre.
La traduction française de « La campagne de 1812 en Russie » date de 1900. Cette nouvelle édition de la plus importante des chroniques guerrières de Clausewitz est donc bien justifiée. On sera frappé par l’actualité des commentaires de l’auteur du « De la guerre » sur une campagne exceptionnelle. Ainsi exprime-t-il, en une phrase prémonitoire, la confiance qu’il place à la fois dans la force de la défense et dans la pérennité de l’équilibre des puissances européennes : « Clausewitz (2) en était arrivé à cette conviction qu’un grand pays de civilisation européenne ne peut être conquis sans l’aide de désordres intérieurs ».
On goûtera aussi le style direct avec lequel le général prussien relate ses tribulations. Les portraits sévères abondent, de Koutousov « une abstraction d’autorité » au malheureux Phull, conseiller du tsar « qui était de tous les hommes celui qui saisissait et s’assimilait le plus difficilement les idées d’autrui ».
Clausewitz excelle dans l’aphorisme. Terminons sur ceux-ci, irrespectueux : « Celui qui veut se mouvoir dans cet élément qu’est la guerre, ne doit rien porter avec lui de ce qu’il a pris dans les livres, si ce n’est l’éducation de son esprit », « Dans un conseil de guerre, c’est, en général, à celui qui ne veut rien faire qu’on donne raison ».
(1) Raymond Aron : « Penser la guerre : Clausewitz », Gallimard, 1976.
(2) On remarquera l’usage de la troisième personne. Une typographie à l’ancienne, discrètement choisie par l’éditeur, ajoute au charme de ce texte.