L’islam dans le monde
L’inquiétude que l’on ressent en Occident face à l’islam s’explique assez par la localisation des points chauds du monde et les progrès d’un fondamentalisme qui se réduirait facilement en « jihadisme ». Mais la religion du prophète Mohammed exerce aussi sur nous sa fascination, à laquelle la violence elle-même n’est pas étrangère : la foi inébranlable des croyants et leurs pratiques conviviales nous font mesurer le vide insupportable où nous ont jetés nos abandons. Inquiétude et fascination, violence et piété, deux raisons mêlées de s’intéresser à la religion de nos voisins d’en face, ou d’à côté. Le livre de Paul Balta répond parfaitement à ce besoin, présentant, comme son titre l’annonce, un tableau complet, intelligent, équilibré, de « l’islam dans le monde ».
La couverture (reproduction d’une page du Monde) ne trompe pas le lecteur ; il s’agit, choisis, présentés, commentés par Balta, d’articles parus dans le journal ces dernières années. La qualité de l’équipe qui travaille, pour le grand quotidien du soir, sur les pays d’islam est bien connue. L’éventail d’opinions qu’elle représente, de Jean-Pierre Peroncel-Hugoz à Éric Rouleau, est gage d’objectivité : non de chacun, sans doute, mais de l’ensemble. Ainsi en va-t-il du journal lui-même, séduisant et irritant, et qu’il faut lire à deux niveaux. À ces journalistes de talent se joignent quelques éminents spécialistes, tels Alexandre Benningsen, Henry Corbin ou Maxime Rodinson.
Dans une excellente introduction, Paul Balta explique en peu de mots, justes et clairs, les origines de l’islam, son étonnante fortune, son déclin et son renouveau. Voici ensuite tous les paysages d’aujourd’hui : Maghreb, Machrek, Iran, Turquie, URSS, Extrême-Orient, et la France et ses immigrés, l’Amérique et ses black muslims. Chacun trouvera dans ce dossier de quoi alimenter sa réflexion. La guerre du Golfe apparaîtra comme conflit exemplaire : à la limite précise de deux mondes, l’arabe et le persan, affrontement d’un régime moderniste, laïcisant et pseudo-socialiste et d’un État de clercs, panislamistes et rigoristes. On s’interrogera sur la Turquie, où l’islam assoupi se réveille, et sur les républiques méridionales de l’Union soviétique, où la communauté musulmane oppose une résistance tranquille, passive, presque inconsciente, à la volonté réductrice du pouvoir. L’avenir de ces deux régions charnières importe beaucoup à l’Europe et au monde.
Revenons à l’inquiétude première. En dépit d’une présentation que certains jugeront lénifiante, l’évidence s’impose, à travers la variété des points de vue, de la marée fondamentaliste. Sans doute plus paisible en Extrême-Orient, cet islamisme-là menace les gouvernants en Afrique du Nord comme au Proche-Orient ; il sous-tend la lutte des résistants afghans ; il triomphe, dans sa spécificité chiite, en Iran ; il progresse en Afrique noire en une seconde vague d’islamisation. Devant la peur ou la stupeur que suscite chez nous cette marée verte, Paul Balta, présentant le chapitre « Affrontement ou coexistence », indique où est l’espoir. Il appartient aux musulmans de réhabiliter l’ijtihâd, effort personnel pour vivre l’islam en vérité, loin des dogmatismes sclérosants et des fureurs collectives.