La France sans défense ?
Il y a longtemps que notre Armée de l’air a congédié le personnage, pourtant plein de charme, de l’aviateur risque-tout brûlant la chandelle par les deux bouts. Le portrait de Tanguy et Laverdure, héros séducteurs de bande dessinée, est désormais accroché au mur du musée folklorique. On est devenu sérieux, comme le requièrent à l’évidence la puissance des avions de guerre modernes, leur vitesse, leur précision et leur coût. Il n’est donc pas autrement étonnant qu’après le général Copel – pour ne pas citer le peu mystérieux Spartacus – le général Dubroca s’indigne des insuffisances de notre Défense nationale.
Sérieux oblige, sa critique n’est pas totale, tant s’en faut. Il présente un plaidoyer fort bien venu en faveur de la dissuasion nucléaire, de la stratégie française et de la place exemplaire qu’elle tient dans la défense alliée. Comme l’avait été en son temps le général Poirier, il est même très sévère à l’égard du président Giscard d’Estaing, coupable à ses yeux d’une regrettable dérive.
Qu’est-ce donc qui ne va pas ? Schématisons en quatre points : une mauvaise orientation des efforts des personnels, poussés à la gestion plutôt qu’à la préparation directe du combat ; notre doctrine d’emploi de l’armement nucléaire préstratégique, annonciateur du cataclysme ; notre interventionnisme outre-mer, fort excessif et sans effets ; le service militaire enfin, inégalitaire et ruineux.
À ces quatre faiblesses, quatre remèdes : un changement des mentalités, pour plus de dynamisme et d’innovation ; l’abandon de l’armement nucléaire tactique spécialisé ; la limitation de nos ambitions sur mer et outre-mer ; le passage d’une Armée de conscription à une armée, réduite, de professionnels.
S’ajoutent à ces grandes orientations quelques précisions non négligeables. On libérera la pensée militaire, actuellement sclérosée. On en finira avec la nocive concurrence qui oppose les Armées, en donnant au Chef d’État-major de l’Armée (Céma) les moyens d’imposer ses choix. On poussera le projet de nos satellites, de reconnaissance mais aussi d’alerte. On reverra le programme du missile SX, dont la mobilité ne paraît pas à l’auteur un gage suffisant de sécurité. On construira un avion stratégique à grand rayon d’action, moyen de la polyvalence nucléaire. Ce même avion, assorti d’un transporteur lourd, permettra de faire l’économie des porte-avions. La protection civile enfin sera sérieusement entreprise.
Portons hardiment un jugement tout personnel sur le riche contenu du livre et la thèse de l’auteur. On trouvera alors un peu courte son analyse du rôle de l’arme nucléaire tactique, sujet scabreux qu’il ne faut aborder qu’avec de grandes précautions. On ne sera pas entièrement convaincu par son argumentation visant l’Armée de métier : il n’est pas juste de dire que le bilan coût-efficacité des deux systèmes de recrutement n’a jamais été fait. On tombera d’accord sur l’insuffisance de la réflexion politique qui doit précéder chacune de nos interventions outre-mer et permettre de fixer à nos soldats de claires missions. Mais on estimera bien légère sa condamnation des porte-avions. On ne pourra s’empêcher, à ce propos, de relever que l’auteur, stigmatisant à juste titre l’esprit de boutons, ne favorise point dans ses propositions l’Armée de terre, la Marine encore moins. Il répondra sans doute, réponse imparable, que c’est moi le boutonneux, si je défends les deux armées qui ne sont pas les siennes.
S’il fallait, choix abusif, ne retenir du livre qu’une seule idée, ce serait le vigoureux cri d’alarme que lance le général Dubroca devant l’insuffisante disponibilité de nos forces. Idée saine, et qui part d’un constat incontestable : la « gestionite », maladie du temps de paix et de la modernité, a atteint les Armées, les détournant de leur fonction guerrière. L’auteur eut pu ajouter que la doctrine dissuasive, quoi qu’on dise, éloigne les esprits de la perspective du combat. La guerre fait aujourd’hui horreur au militaire comme à ses concitoyens ; il doit pourtant la préparer avec ardeur. C’est une situation très inconfortable. Il y faut bien de l’inconscience, ou beaucoup de vertu.