La voie hongroise
À l’heure où tous les regards semblent tournés vers les réformes économiques en cours en Chine ou en gestation en URSS, il reste intéressant de se pencher une fois encore sur le cas hongrois dont les antécédents sont indubitables. Certes le « modèle » magyar s’est quelque peu essoufflé sous l’effet de la crise économique mondiale et du resserrement des solidarités à l’Est : mais il reste entier et ses enseignements sont précieux à plus d’un titre ; par exemple, la lente recentralisation qui s’est opérée au cours des années 1970 est-elle le signe qu’en régime socialiste toute réforme comporte ses limites naturelles ? Est-elle au contraire un moyen permettant de contrôler et de stabiliser le cycle économique dans la présente phase de conjoncture ? Autant de questions et bien d’autres auxquelles répond cet ouvrage collectif : car c’est là l’un de ses traits particuliers : être l’œuvre collective de quelques-uns des économistes hongrois de renom. Les regards qu’ils posent sur leur société sont pénétrants à plus d’un titre.
Dans la première partie, Janos Kornai analyse l’état actuel et les perspectives de la réforme économique introduite en 1968. Il juge positifs les premiers pas en direction d’une désintégration des trusts, des grandes sociétés ainsi que toutes les mesures encourageant l’esprit d’entreprise et la légalisation des activités de la seconde économie. Dans la deuxième partie, consacrée aux étapes de la réforme hongroise. Laszlo Szamuely, rend compte du débat à l’origine des réformes. Celui-ci a opposé les partisans d’une simple correction des mécanismes de planification, visant à introduire de nouveaux indicateurs, et les protagonistes d’un mouvement plus radical permettant de modifier les relations entre les agents et l’environnement économiques. Laszlo Antal met l’accent sur les difficiles rapports entre la croissance et le mécanisme économiques, qui se sont trouvés au point mort au milieu des années 1970 par suite du « fractionnement des régulateurs », notamment du système des prix. Pour lui, seule une refonte radicale allant dans le sens d’une plus grande décentralisation permettrait de dépasser les difficultés présentes. Mais ce véritable saut qualificatif n’est-il pas précisément redouté, car signifiant peut-être un changement de régime ? Dans la troisième partie, sont analysées les causes des principaux désajustements actuels. Tamas Bauer, économiste hongrois, s’interroge sur le mode de détermination des investissements dans une économie planifiée : il montre que ce n’est pas tant l’organe central de planification qui décide du volume des investissements mais que ce dernier est le résultat des marchandages entre les divers échelons hiérarchiques de l’appareil de production et la planification. János Kornai s’intéresse au concept de « contrainte budgétaire » qu’il qualifie de « dure », « lâche » ou « relâchée ». Mihaly Laki aborde un thème généralement peu connu, celui de la liquidation et des fusions d’entreprises. Andras Koves et Gyorgy Obiath traitent d’un des problèmes les plus cruciaux de l’économie hongroise : pourquoi, comment, et dans quelles circonstances le déséquilibre des échanges est-il apparu et s’est-il accumulé ? Dans la quatrième et dernière partie, Erzsebet Szala s’interroge sur les possibilités d’adaptation des grandes entreprises à de nouvelles réformes qui risqueraient de réduire leurs prérogatives. Parmi les récentes mesures introduites en Hongrie en 1982, l’une concerne la légalisation et l’encouragement de l’« économie secondaire » ; I.I. Gabor apporte un éclairage particulier sur ce secteur informel particulièrement prospère à l’Est. Enfin Marton Tardos, dont les travaux se trouvent au centre de la réflexion et des propositions théoriques concernant la décentralisation de l’économie planifiée, propose un vaste programme visant à assurer le retour de l’économie hongroise dans la direction des réformes commencées en 1968, et à apporter une réponse à des problèmes non résolus à l’époque. L’auteur traite du lien entre la planification et le système institutionnel des entreprises en se faisant l’avocat d’un système pluraliste où pourraient coexister différentes formes de propriété : dans le domaine du financement et du crédit, il propose la mise en place d’un système concurrentiel et d’un quasi-marché du capital. Comme l’indique justement Xavier Richet, le coordinateur français de cet intéressant ouvrage auquel il convient de rendre hommage : « Ce programme a largement inspiré la troisième vague de réformes qui a débuté ces dernières années ».