Le volcan Nicaraguayen : polémiques, géopolitique, sandinisme, réalisations
Depuis bientôt neuf ans le Nicaragua occupe, dans les médias occidentaux, une place presque démesurée par rapport à sa taille (130 000 kilomètres carrés), sa population (3 millions d’habitants) ou même sa position géographique, au centre de l’Amérique centrale. Le fait que, tout récemment, la candidature de Managua pour accueillir le Sommet des pays « Non-alignés » ait été repoussée, illustre une fois encore l’ampleur des passions dont ce pays fait l’objet. Aussi les écrits ou plutôt les récits sur le Nicaragua ont abondé. Peu d’études complètes pourtant ont cherché à décrire les multiples aspects de son histoire, de sa révolution et de ses transformations internes depuis 1979, date de l’avènement du régime sandiniste. Aussi le « Volcan nicaraguayen », œuvre de quelque vingt auteurs, est-il venu à point nommé. L’ouvrage, découpé en quatre parties, analyse tour à tour les principaux sujets de polémiques, replace le problème du Nicaragua dans son contexte géopolitique, analyse le sandinisme puis décrit certaines des réalisations les plus importantes du nouveau régime (transformations agraires, éducation, système de santé). Pour ce collectif, disons-le d’emblée, le bilan du Nicaragua est, pour reprendre une expression usée, « globalement positif ». Pourtant les regards ne sont jamais aveugles, et en maints endroits ils soulignent soit les insuffisances, soit les bavures, soit les erreurs, voire les graves déviations du régime.
La situation des droits de l’homme dans ce pays, où coexistent deux commissions des droits de l’homme, n’est pas « paradisiaque » (p. 17). La création, en avril 1983, des « tribunaux populaires antisomozistes » est vivement ressentie. Mais comment pourrait-il en être autrement dans un pays en guerre ? conclut Philippe Texier. Même approche pour la presse, dont la situation est qualifiée de « liberté sous surveillance ». Certes, le rétablissement de la censure, en mars 1982, est à déplorer mais, estime Jean Michel Caroit, tant que le pluralisme de la presse subsistera, « un des traits majeurs de l’originalité du régime sandiniste sera sauvegardé » (page 26). Maurice Barth expose la situation complexe de l’Église, Denis Ruellan celle des Indiens de la côte Atlantique les Mistikos, bavure regrettable du pouvoir sandiniste, qui exprime plus son incompréhension des problèmes des minorités ethniques qu’un désir de réduire toute la population au rouleau compresseur de la doctrine marxiste-léniniste. Quant au pouvoir populaire analysé par Marie Deketelaere, qui en décrit les diverses instances (Comités de défense sandinistes bâtis sur le modèle cubain des Comités de défense de la révolution, syndicats), il apparaît plus apparent que réel. Le Front sandiniste est bien hégémonique et tout pouvoir unique, peut-on ajouter, est conduit tôt ou tard à suivre sa pente naturelle. Pourtant, affirme Carlos Ferrari-Lopez, les élections du 4 novembre 1984 se sont déroulées fort démocratiquement, mettant en concurrence sept partis. Même si le Front sandiniste de libération nationale (FSLN) a obtenu presque 67 % des voix, les 33 % restants sont allés à six partis de droite et de gauche.
Nous passerons plus rapidement sur la partie intitulée géopolitique, car elle traite d’aspects bien connus dont Politique Étrangère a rendu compte à plusieurs reprises. La politique américaine fait l’objet d’un court article. L’attitude de l’URSS, de Cuba et de l’Europe occidentale, de la France en particulier, est analysée brièvement. Il en est de même du contexte régional consacré en grande partie à l’analyse de l’action du groupe de Contadora. Pascal Boniface et Didier François se livrent à une rapide évaluation du rapport des Forces militaires dans la région, un peu courte car la menace nicaraguayenne, si menace il y a, aux yeux des États-Unis, n’est évidemment pas purement militaire, mais idéologique, politique, et subversive.
Plus intéressante apparaît la partie consacrée au sandinisme en tant qu’organisation, idéologie et action. Pascal Serres décrit la transformation progressive du front sandiniste en un appareil d’État : étude de cas toujours instructive qui permet, d’après Bertrand de Jouvenel, d’analyser la croissance naturelle de tout pouvoir. Francis Pisani présente avec sympathie l’idéologie qui a puisé à des sources diverses, encore qu’elle n’ait jamais dissimulé son inspiration marxiste principale. Mais peut-il y avoir débat, nous dit-il, puisque le problème essentiel de la révolution est celui de sa survie ? Christian Tutin décrit l’économie mixte du Nicaragua, curieux produit de circonstances exceptionnelles dont on ne sait pas s’il est plus une situation conjoncturelle qu’un parti pris idéologique et pratique. On le voit, guerre et économie sont le marteau et l’enclume qui enserrent le pouvoir sandiniste. Dans une dernière partie, des bilans assez équilibrés sont présentés des réformes agraires, de l’éducation et du système de santé. Ces deux derniers secteurs n’ont peut-être pas été choisis au hasard, car ils constituent pour tout observateur de bonne foi les secteurs de réussite partielle de Cuba, dont le modèle n’a pas manqué d’exercer une attirance certaine sur les dirigeants sandinistes. Nous voilà revenus à la question essentielle : l’expérience nicaraguayenne est-elle purement et simplement une réédition ou un prolongement de l’expérience cubaine ? Les différents articles fournissent certains éléments d’appréciation, mais ne tranchent évidemment pas. Objet de passion, lieu de durs affrontements, le Nicaragua deviendra-t-il simple monnaie d’échange lors d’une hypothétique nouvelle détente Est-Ouest, ou basculera-t-il à son tour dans un relatif oubli et bien des désillusions ? La question reste, bien évidemment, ouverte, et pour un certain temps !