L’Arabie du Sud, histoire et civilisation – vol. 1 : Le peuple yéménite et ses racines ; vol. 2 : La société yéménite de l’Hégire aux idéologies modernes
Comme on pouvait s’y attendre, c’est par la marine que, dès le début du XVIIIe siècle, la France monarchique a pris les premiers contacts avec l’émirat du Yémen : les navigateurs malouins s’intéressèrent à l’achat de café, mais ils saisirent aussi l’occasion de dépêcher à l’intérieur du pays une ambassade accompagnée d’un chirurgien. Barbier, qui soigna avec grand succès le vieil imâm. Quelques années plus tard, les accords conclus n’ayant pas été respectés, la Compagnie des Indes dut faire une démonstration de force à Moka. Au siècle suivant, un pharmacien militaire, Arnaud, après avoir servi auprès des forces égyptiennes engagées en Arabie, découvrit les vestiges de la fameuse digue de Marib.
Ne serait-ce que pour ce rappel de maints événements bien oubliés, cette publication collective consacrée au Yémen mériterait de retenir l’attention. Mais il s’agit, en fait, d’une véritable encyclopédie. Spécialiste éprouvé de la sociologie arabe, familier de l’Arabie depuis de longues années, le professeur Joseph Chelhod ne s’est pas contenté, comme c’est souvent le cas, de juxtaposer un certain nombre de monographies dues aux praticiens de diverses disciplines ; il a conçu de manière systématique, le plan de cette somme yéménite ; il en a équilibré et réparti entre des auteurs d’une compétence éprouvée les diverses parties ; il a lui-même établi la plupart des notices sociologiques et rédigé les articles de synthèse qui constituent l’armature des quelque mille pages de cette encyclopédie.
L’ouvrage expose avec beaucoup de précision les particularités religieuses du Yémen, qui juxtapose sunnites, de rite chaféite, chiites zeydites, ismaïliens, ainsi qu’une communauté juive dont l’émigration en Palestine commença bien avant la création de l’État d’Israël (II, p. 131) et qui est désormais extrêmement réduite ; l’émigration reste d’ailleurs, d’une façon générale, une des grandes données sociales et politiques du Yémen actuel. Le professeur Chelhod s’attache particulièrement, d’autre part, à faire ressortir les tenaces réalités tribales et coutumières qui subsistent dans ce Yémen contemporain ; il montre comment la tradition, d’inspiration bédouine, prévaut souvent, chez ces sédentaires, sur un droit islamique plus rigide. Mme Dominique Champault complète cet exposé sociologique par une enquête tout à fait remarquable sur les milieux féminins, chez lesquels on s’étonnera sans doute de voir coexister les traits les plus archaïques avec l’accueil empressé de certains apports occidentaux (III, p. 229-230), en sorte que des possibilités d’évolution relativement rapide ne sont pas exclues. Le complexe problème du qât, euphorisant typique de la région, n’est pas négligé (III, p. 259-276).
L’histoire politique et économique contemporaine fait l’objet de bonnes monographies. Peut-être regrettera-t-on, toutefois, que n’ait pas été analysé plus à fond l’écroulement de l’édifice tribal et sultanal sur lequel les Britanniques avaient misé, écroulement qui départagea, de manière inattendue, les mouvements nationalistes rivaux.
Si au moment de mettre cette encyclopédie en bibliothèque, pour consultation ultérieure, on ne devait en lire sur-le-champ que quelques pages, on suggérerait qu’il s’agisse de la synthèse établie par le professeur Chelhod sous le titre trop modeste de « Formation de la société yéménite » (II, p. 253-264). Il s’agit, en fait, d’une profonde réflexion sur le passé et l’avenir du Yémen : ni l’unification des deux Yémens, que maints traits frappants différencient cependant, ni l’entrée en jeu. dans cette région traditionnaliste, des « zélotes » de l’islam, ne seraient exclues a priori. Ces avertissements d’un observateur particulièrement compétent doivent retenir l’attention.