Les euromissiles soviétiques, Tome I : une histoire, Tome II : une politique
Ces deux brefs volumes – le texte, traduit par Raymond Manicacci, est dû à un universitaire du MIT (Massachusetts Institute of Technology) ; il a été publié par l’International Institute for Strategic Studies (IISS) en 1983, avant donc la reprise des pourparlers de Genève – n’apportent guère, sur le sujet stricto sensu, d’éléments nouveaux à La bataille des euromissiles de Michel Tatu (Seuil, 1983). Par contre, sans craindre de remonter fort loin, voire avant (1945), Stephen Meyer étudie en détail le rôle assigné aux armes nucléaires dans la bataille par la doctrine militaire soviétique et les conséquences qui en découlent pour la stratégie et « l’art des opérations » de l’Armée rouge, appliqués au théâtre européen.
L’URSS ne croit pas à une escalade progressive, même si elle admet maintenant la possibilité d’opérations classiques au début d’une guerre qui ne lui paraît plus inévitable. Les armes nucléaires de l’Otan en Europe constituent l’obstacle majeur susceptible d’entraver la progression de ses forces armées en cas de guerre. Elle est donc fermement décidée à neutraliser, « avant leur emploi significatif et dans toute la profondeur du théâtre », les vecteurs (1) alliés ainsi que les moyens de soutien logistique et de commandement nécessaires à leur mise en œuvre. Pour ce faire, elle compte sur les feux classiques et chimiques, sur des actions de commandos (Spetznaz), voire sur une frappe préemptive, ces trois modes d’action ne s’excluant pas mutuellement.
Les hostilités débuteraient par l’engagement massif des rampes de front, d’armée, de division, et de l’aviation pour attaquer avec des projectiles classiques ou chimiques l’ensemble du dispositif nucléaire allié en Europe, réparti entre les 3 premières des 5 classes d’objectifs prioritaires retenus par la planification soviétique de théâtre. L’URSS pourrait ensuite, notamment en cas de tirs nucléaires sélectifs de l’Otan, devancer un emploi généralisé de ces armes par une frappe préemptive utilisant d’abord les moyens possédant la meilleure allonge et reliés directement au commandement suprême (missiles balistiques IRBM/MRBM, bombardiers à long rayon d’action, sous-marin nucléaire lanceur d’engins ou SNLE) tandis que seraient acheminées vers l’avant les armes nucléaires de champ de bataille gardées jusqu’alors en sûreté sur le sol national.
L’étude s’appuie sur une abondante bibliographie et sur de nombreuses citations. On pourra s’étonner que, contrairement à l’annonce, la première partie de chaque volume soit en fait un exposé historique, le reste étant réservé aux réflexions et commentaires ; plus gênante est l’absence du « tableau I de l’annexe I » qui devait donner les caractéristiques de tous les vecteurs soviétiques susceptibles d’intervenir sur le théâtre européen ; les autres tableaux et cartes gagneraient à être numérotés, titrés, mieux légendes et datés (on s’expliquerait alors l’importante implantation de l’aviation américaine dans l’Est de la France, reprise sur les 4 cartes).
Ces quelques critiques ne doivent pas faire oublier la valeur de cet ouvrage qui dépasse très largement le cadre – déjà vaste – des seuls missiles SS-20.
(1) La plupart de ces vecteurs étant mobiles, leur destruction devrait être tentée « au nid », préalablement à leur déploiement opérationnel.