La guerre du Sahara occidental
Claude Bontems est professeur agrégé à la faculté de droit de Sceaux. Son livre paraît dans la collection « Perspectives internationales » que dirige aux Presses universitaires de France M. Charles Zorgbibe. C’est le point de vue d’un juriste que l’on cherchera donc dans cet ouvrage, plus que les éléments historiques, ethniques ou culturels du conflit du Sahara occidental. On y trouvera en effet une bonne analyse de l’avis rendu le 16 octobre 1975 par la Cour internationale de Justice (CIJ) de La Haye et une relation précise des débats auxquels le conflit a donné lieu sur la scène internationale, tant à l’ONU qu’à l’OUA (Organisation de l’unité africaine).
On y verra clairement exposés les clivages très caractéristiques qui dominent ces débats, où les choix sont d’abord idéologiques : les 54 États (aujourd’hui 56, depuis les récentes décisions de la Mauritanie et de la Haute-Volta [aujourd’hui Burkina Faso]) qui ont reconnu la République arabe sahrawi démocratique (RASD) relèvent pratiquement tous et du Tiers-Monde, et du courant dit progressiste. C’est ce que l’auteur explique d’une phrase que l’on n’est pas tenu d’approuver : « Il s’agit des États qui ont su placer les grands principes de la morale internationale avant les considérations économiques et géopolitiques ». On notera à l’inverse que les pays de l’Est et la grande majorité des États arabes et musulmans n’ont toujours pas reconnu l’État sahrawi potentiel : signe de la complexité d’un problème que seuls les idéologues parviennent à simplifier.
Mais on trouvera aussi dans ce livre, sur le plan intérieur cette fois, l’analyse de la « Constitution » de la RASD et une intéressante description des structures de la microsociété qui se construit dans les camps de réfugiés de la région de Tindouf (Algérie). Avec, nous semble-t-il, une certaine naïveté, Claude Bontems dévoile très précisément, l’organisation des hiérarchies parallèles qui enserrent le peuple sahrawi et assurent « mobilisation des masses » et « sensibilisation idéologique ». On comprend, chemin faisant, l’orientation politique de l’auteur et son adhésion étroite aux thèses du Front Polisario. La volonté de ne pas desservir celles-ci l’entraîne à quelques contradictions : par exemple, après avoir bien montré le caractère idéologique de la lutte révolutionnaire du Front, il dénonce ceux qui insistent sur cette option fondamentale et occultent l’aspect « libération nationale » du conflit saharien. Il importe, on le voit, de faire feu de tout bois.
De semblables contradictions apparaissent lorsqu’on cherche à définir – il le faut bien – l’entité Sahara occidental et son originalité autonome. Comme le reflète le mot même de Saharawi, c’est la colonisation espagnole qui a créé ce Sahara-là. C’est elle qui, par une évolution séparée de celle qu’ont suivie les cousins de Mauritanie, par la pratique de l’indispensable langue occidentale, ici espagnole, par l’exemplaire tolérance mutuelle (très honnêtement relevée) de l’occupant et de l’occupé, est à l’origine de la spécificité sahrawi. Mais ce constat conduit à minimiser l’appartenance des tribus du Sahara ex-espagnol à l’ensemble ethnique maure et à unir abusivement Teknas, Rgueybat et Ouled Delim dans une même « conscience nationale ».
On ne sera pas étonné, enfin, de voir Claude Bontems sacrifier, bien au-delà du nécessaire, au rituel de l’anticolonialisme. Non content d’accuser l’Occident colonial d’avoir ruiné l’authentique civilisation sahrawi, il dénie à nos anciens la perception de ce qu’ils « détruisaient ». Il ignore, le pauvre, la pratique intime et affectueuse qu’avaient des gens et des choses administrateurs, officiers et chercheurs de la belle époque, tant espagnols que français. L’auteur eût dû être plus modeste, car le peu qu’il dit du pays et de la civilisation des Maures montre que l’expérience qu’il en a est très superficielle. C’est ainsi que la Saguiyat al Hamra « coule plusieurs mois pendant l’année » (p. 11), que le Rio de Oro « relève du système de l’erg » et que le « désert du Tins » est « aussi dangereux à traverser que le Tanezrouft » (p. 12). C’est ainsi qu’on se demande « si la présentation tribale de la société sahrawi ne serait pas davantage une projection de la vision déformée européenne, plutôt qu’une réalité ethnologique » (p. 15). On répète, après bien d’autres, la légende de la destruction de la ville de Smara par la colonne Mouret en 1913 (p. 57). Enfin le nomadisme, élément fondateur de la société maure et fait culturel d’une inestimable richesse, est quasi ignoré et rabaissé, quand il apparaît, à la fonction économique d’un élevage banal.
Ces lacunes, ces erreurs, ces méconnaissances, n’enlèvent pas le mérite des analyses politico-juridiques de M. Bontems. Son ouvrage cependant ne périme en aucune façon celui qui reste la meilleure référence et qu’a publié en 1982 aux Éditions L’Harmattan Maurice Barbier, sous un titre voisin : Le conflit du Sahara occidental. Moins documenté que son prédécesseur, Claude Bontems est également moins objectif : « Le référendum, écrit-il, devra avoir lieu et quels qu’en soient les résultats, il débouchera sur l’indépendance » (p. 220). Sous la plume d’un juriste, voilà une surprenante conclusion. ♦