Red Navy at Sea. Soviet Naval Operations on the High Seas 1956-1980
On dispose d’un grand nombre de livres sur la Marine soviétique (au moins une vingtaine) mais il nous manquait jusqu’à présent un tableau d’ensemble de ses opérations. Le livre de Bruce W. Watson vient combler cette lacune, en nous présentant ses déploiements en haute mer, par théâtres d’opérations, de 1956 à 1980. Sont ainsi étudiés successivement l’Atlantique Nord, les Caraïbes, l’Afrique de l’Ouest, la Méditerranée, le Pacifique et l’océan Indien.
On y trouve beaucoup de renseignements sur des épisodes qui avaient peu attiré l’attention en leur temps, mais qui, replacés dans le contexte général des activités navales soviétiques, acquièrent toute leur signification. La croisière du porte-aéronefs Minsk ralliant la flotte du Pacifique en 1979 est ainsi très bien mise en valeur. Sont particulièrement à signaler les nombreux tableaux qui clôturent le livre et fournissent une masse impressionnante de données brutes.
On ne saurait donc trop recommander la lecture de cet intéressant travail, en regrettant cependant que l’auteur n’ait pas tiré de son sujet tout ce qu’il pouvait dire. Sa perspective est trop descriptive, on eut souhaité après ces études régionales, un effort de systématisation et de réflexion sur les finalités de cette irruption en haute-mer. Les trop brèves remarques du chapitre introductif ne peuvent en tenir lieu. D’autre part, même si l’on se limite à la description, il y a trop de lacunes : le chapitre sur l’Atlantique Nord se limite au déploiement de sous-marins stratégiques, aux deux exercices OKEAN et aux visites. Pas un mot sur l’exercice Sever (1968) qui est pourtant la deuxième grande manifestation du déploiement en avant de la flotte de surface (la première étant la guerre des Six jours) et dont la valeur politique, liée à la crise tchécoslovaque, fut parfaitement perçue à l’époque. Rien non plus sur les grandes manœuvres sous-marines de 1976, si révélatrices de la menace qui pèse sur les lignes de communications occidentales. L’Afrique de l’Ouest n’entre en scène qu’en 1970, alors qu’il y avait déjà eu une croisière en 1969, destinée à obtenir la libération de pêcheurs soviétiques capturés par le Ghana. Dans l’océan Indien, Watson ne mentionne que les facilités en Somalie et en Éthiopie, alors qu’il en existe aussi à grande échelle au Mozambique, et omet l’importante visite à Umm Qasr, en Irak (1972) au moment d’une grave crise entre l’Irak et le Koweït. Dans le Pacifique, il signale les manœuvres du Minsk en mer de Chine orientale en juillet 1980, mais oublie la visite qui a suivi dans le Golfe du Siam, dont le sens n’a pas échappé au Premier ministre thaïlandais qui était alors en visite à Pékin. Il est également regrettable qu’il n’ait pas pris en compte les développements de l’année 1981 (il le pouvait puisqu’il fait référence à l’assassinat de Sadate) qui montrent une pénétration de plus en plus profonde dans le Pacifique. Sur un plan plus restreint, la diplomatie navale à destination du Tiers-Monde de 1967 à 1976. James M. MacConnel et Bradford Dismukes s’étaient montrés beaucoup plus exhaustifs (Soviet naval diplomacy ; Pergamon Press, 1979). Leurs cartes étaient très riches, alors que l’appareil cartographique de Watson est assez faible.
Certaines de ses interprétations, enfin, sont des plus contestables : il n’était pas question de diplomatie navale en direction du Tiers-Monde en 1956 (p. 3), celle-ci n’a été décidée que plus tard, vers 1964-1966, et la perception exagérée de la menace résulte plus du comportement peu éclairé de certains « faucons » américains que d’une volonté soviétique a priori (p. 8).
Mais toutes ces réserves ne doivent pas occulter l’intérêt de ce livre, qui apporte une contribution utile aux études sur la puissance maritime soviétique. ♦