Le Proche-Orient à la recherche de la paix, 1972-1982
À une époque qui fait ses délices du « meurtre du père », on éprouve une satisfaction apaisante à lire les Rondot, à passer sans presque s’en apercevoir de Pierre à Philippe et de Philippe à Pierre, à entendre Philippe faire référence à Pierre. Le fils en effet a mis ses pas, exactement, dans ceux de son père. Même passion pour le Proche-Orient, même goût pour l’étude, appuyée sur des contacts fréquents avec les pays et les hommes dont on parle. Même style clair au service d’une pensée rigoureuse. Même usage discret de l’uniforme et de la carrière militaire, vaguement évocateur des Lawrence, Saint John B. Philby et autres Glubb Pacha, et du folklore anglo-arabe de la belle époque.
Le dernier livre de Philippe Rondot est bien « tombé », comme l’on dit d’une dépêche d’agence. Retraçant les péripéties diplomatiques qui ont entouré le conflit israélo-arabe d’octobre 1973 à avril 1982, il plante le décor de l’offensive israélienne au Liban et des changements considérables qu’elle a déjà commencé de déclencher. Entre la « guerre d’octobre » et l’opération Paix en Galilée, c’est une période parfaitement circonscrite que l’auteur s’est fixé pour cadre. Son préfacier, Jacques Vernant, la nomme fort justement « période égyptienne ». Elle est en effet dominée par la personnalité d’Anouar el-Sadate qui, après avoir restauré la dignité militaire de l’Égypte, a mené avec ténacité une action diplomatique efficace. Les Arabes devront bien, un jour prochain, lui rendre justice et juger plus sainement des mérites respectifs des deux raïs.
C’est donc au déroulement de la diplomatie que Philippe Rondot s’est attaché et l’on sait combien elle a été active et sinueuse durant ces huit années. L’ouvrage, très documenté, constitue une excellente source de références.
La guerre d’octobre 1973 est un exemple extrême des liens de la guerre et de l’action diplomatique. La mesure (ou la lenteur) dont l’Égypte a fait preuve dans son offensive au Sinaï était sans doute adoptée à un but de guerre précis et modeste : recouvrer la disposition du Canal. Après les combats, le désengagement des forces israéliennes, égyptiennes, syriennes a constitué l’une des meilleures performances de M. Kissinger. L’infatigable négociateur a réussi à transformer l’imbroglio du cessez-le-feu en une organisation frontalière vivable. Si « vivable » que le roi Hussein, resté sagement en marge de la guerre d’octobre, a pu regretter que la Jordanie ne bénéficie pas d’un dispositif analogue.
Étendant largement le désengagement, l’accord de septembre 1975, par lequel Israël abandonnait la ligne des cols et les exploitations pétrolières du Sinaï, était un pas vers la paix. Mais la paix se fit attendre et c’est Sadate, et non plus les Américains, qui en fut l’initiateur courageux : lassé de la diplomatie hésitante de l’administration Carter, il en bouscule l’exercice par un geste irrémédiable, le voyage de Jérusalem de novembre 1977. Dès lors le processus est engagé. Il aboutira aux accords-cadres de Camp David en septembre 1978 et, le 26 mai 1979, au traité de paix israélo-égyptien. Le mérite de Sadate a été grand et ne se limite pas à son audacieuse visite : Menahem Begin ne lui a rien épargné. Du 15 mars au 13 juin 1978 c’est la première campagne israélienne au Liban et l’établissement de la « marche » protectrice qui lui manquait ; la Finul (Force intérimaire des Nations unies au Liban) et les milices du commandant Haddad l’occupent ; on sait que cette zone-tampon a par la suite semblé insuffisante aux dirigeants israéliens. Le 20 mars 1979 enfin, 6 jours avant la signature du Traité, Begin proclame devant la Knesset ses trois non sans appel : non à l’évacuation ; non à un État palestinien en Cisjordanie ; non à l’abandon de Jérusalem unifié, capitale d’Israël « pour l’Éternité ».
Philippe Rondot termine son livre par l’exposé des positions affirmées, au début de 1982, par les États arabes parties au conflit. Ce tableau rend plus clair ce que nous avons vu se dérouler depuis 6 mois, ce que nous voyons se dessiner aujourd’hui. De timides espoirs se lèvent, à observer le camp arabe. Les combats arrêtés, les imprécations rituelles voilent à peine la satisfaction générale ressentie au départ des combattants palestiniens de Beyrouth. On imagine un Liban réunifié et reconstruit. L’Égypte de Moubarak pourrait rejoindre la famille arabe, qui s’ennuie d’elle. L’OLP (Organisation de libération de la Palestine), quelque peu assouplie par l’épreuve, semble disposée aux accommodements. Hussein, un peu moins méfiant, parle avec Yasser Arafat. Certes ces espérances sont d’un seul côté. Elles rendent cependant plus évidente l’intransigeance israélienne, plus scandaleuse l’impasse dans laquelle s’enferme Begin. Elles suggèrent, discrètement encore, les compromis médiocres mais efficaces sur lesquels, toujours, on construit la paix. ♦