URSS – Dissidence et dissident
C’est un bien utile petit ouvrage, agrémenté d’utiles citations que nous livre Roger Rotman sur ce mouvement de la dissidence, devenue au cours des années soixante et soixante-dix – selon les mots d’Alexandre Zinoviev – la « mauvaise conscience de la société soviétique ».
Aux sources de la dissidence figure incontestablement le rapport Khroutohtchev de 1956, qui permit le premier « dégel », principalement littéraire selon le terme même du roman d’Ilya Ehrenbourg. Cette poussée de libération mentale, symbolisée par la revue « Novy Mü » (monde nouveau) permis, on le sait la publication en 1963 d’une journée d’Ivan Denissovitch d’Alexandre Soljenitsyne. Mais c’est l’impact des événements hongrois de 1956 qui donna naissance à la première manifestation d’opposition ouverte aux dogmes affichés par le pouvoir soviétique : les étudiants et écrivains en viennent à conclure à la nécessité d’une « révolution socialiste contre le pseudo-État socialiste ». Ces groupes éphémères sont vite matés et dispersés. Mais ils donnent naissance aux premiers groupuscules de l’opposition littéraire : « Syntaxis » d’Alexandre Guinzbourg (1959), « Boomerang » de Vladimir Ossipov (1960), « Phénix 61 » de Jouri Galanskov, avec la participation de Vladimir Boukovski et Édouard Kouznetsov. L’opposition littéraire était née : elle fera de la place Maïakovski son point de ralliement mais elle ne saura guère effectuer de jonction avec les révoltes ouvrières sévèrement réprimées des années 1961-1962.
L’essor de la dissidence, le fait qu’elle ait connu une large diffusion à l’ouest date du célèbre procès de Siniavski et Daniel ouvert en février 1966 qui est conclu par de sévères peines de déportation. Les autorités soviétiques vont faire un large appel aux diverses ressources répressives contenues dans le code de procédure pénale rédigé en 1960-1961. Pour subsister la dissidence fait appel à de nouvelles formes d’action : Samizdat, campagnes de pétition. En novembre 1970 Sakharov crée, avec deux collègues de réputation mondiale, un comité pour la défense des droits de l’homme en URSS. Mais à partir de 1973, de vives polémiques s’engagent au sein de cette dissidence divisée en de nombreux courants symbolisés notamment par les personnalités d’Andreï Sakharov, de Roy Medvedev ou d’Alexandre Soljenitsyne. Le mouvement d’opposition se divise en de nombreuses composantes ethniques (Tartares de Crimée, juifs), ou sociales, avec l’apparition timide de quelques syndicats libres.
Mais ces divers courants de pensée ne correspondent pas à des composantes politiques indépendantes. La dissidence, c’est là son originalité et son moyen d’existence, est composée tout entière sur la base de l’engagement individuel des personnes. Bien incapable d’opposer quelque alternative crédible au pouvoir, réduite et dispersée, la dissidence n’en apparaît pas moins comme ce pouvoir critique à l’œuvre dans toute société et nous révèle les contradictions d’une société soviétique engoncée dans ses certitudes. ♦