Le mimétisme technologique du Tiers-Monde
En donnant à son ouvrage le sous-titre de : « Plaidoyer pour le recours à des techniques intermédiaires et différenciées », Denis Clair-Lambert apporte une réponse mesurée à la traditionnelle question de savoir si les transferts de technologie sont-ils ou non adaptés aux besoins techniques économiques et sociaux des pays acquéreurs. Il part de la constatation, assez évidente, mais qu’il étaye à l’aide d’une série de chiffres très significatifs et de schémas plus explicites, selon laquelle l’économie mondiale n’est pas un espace homogène reproduisant en tout point de l’espace des structures identiques. Aussi le mimétisme technologique s’enracine-t-il dans les mêmes mécanismes psychologiques que l’effet d’imitation ou de démonstration. Trois dimensions de ce mimétisme sont identifiées.
La première est d’ordre politique : les pays en développement ne veulent pas recevoir des technologies périmées et espèrent accéder à une plus grande autonomie. Cette légitime aspiration à l’indépendance économique elle-même n’est pas absente de contradictions car il se crée des liens de dépendance qui précisément diminuent la capacité d’autonomisation. Mais comment échapper à ce désir lorsque les ressorts de la puissance, à commencer le facteur militaire, sont profondément marqués par la course à l’innovation.
La deuxième composante est spatiale, c’est l’appel irrésistible exercé par les foyers de haute densité économique sur l’orientation des flux internationaux de technologie. Sur ce point l’auteur se livre à une étude assez détaillée des densités scientifiques de diverses régions (Europe, Amérique latine). Chaque centre est soumis à trois séries de polarisation culturelle, économique et scientifique qui se superposent les unes aux autres. Tout calcul de densités d’activités tend à avantager les petits pays fortement peuplés et à niveau de vie élevé : les lieux de forte production et consommation, alors que les espaces politiques restent au niveau de l’analyse économique des espaces flous fondamentalement hétérogènes et déformants.
La troisième dimension du transfert technologie est écologique. Il s’agit de savoir si les quelque 20 milliards de francs soit 1,5 % des recettes d’exportation qui représentant le coût des acquisitions de technologie dans le Tiers-Monde sont neutres. L’ouvrage analyse les attitudes adoptées par les pays en développement en matière d’échanges scientifiques et technologiques : le développement séparé solution radicale de fermeture des frontières, voie illustrée à un moment par l’exemple chinois ; le maximalisme technologique illustré par de nombreuses économies pétrolières du Moyen-Orient. On sait ce que peut avoir parfois d’artificiel cette pure reproduction des systèmes technologiques occidentaux ; l’absorption technologique par appropriation caractérise le nationalisme scientifique de nombreux pays d’Amérique latine : le Brésil, le Mexique et les pays du Pacte andin et de certains pays africains : enfin l’apprentissage technologique, solution illustrée par la stratégie japonaise, se reproduit aujourd’hui dans plusieurs pays d’Asie du Sud et du Sud-Est.
Au total aucune stratégie n’apparaît à l’état pur. Si une politique d’autonomie postule la différenciation et non l’uniformisation c’est dans la combinaison de ces divers instruments que pourra résulter une capacité scientifique et technologique accrue des pays en développement.
Cet ouvrage documenté et suggestif de Denis Lambert, résultat de nombreuses enquêtes sur le terrain, se caractérise par la richesse de ses analyses et l’ouverture de ses conclusions. ♦