La méthode Brejnev. Analyse et histoire d’un règne
Que de fois nos confrères de la presse occidentale n’ont-ils pas annoncé l’ouverture imminente de la succession du numéro un soviétique ! Et cependant Léonid Brejnev tient plus que jamais solidement en mains les gouvernes du vaisseau soviétique. Cela va faire bientôt 17 ans depuis qu’en octobre 1964 le protégé de Khrouchtchev mena avec succès le coup d’État qui démit de son poste son bienfaiteur. Aujourd’hui sa prééminence est indiscutée et il semble bien installé à vie au sommet du pouvoir. Quel est donc le secret de longévité politique de ce personnage qui apparaît pourtant bien anodin comparé au génial et cynique dictateur que fut Staline et bien banal par rapport au chef d’État violent, énergique mais imprudent que fut Khrouchtchev ?
On ne s’étonnera pas que cet ouvrage apporte à cette question une réponse moins que bienveillante lorsqu’on saura que son auteur, un Caucasien de plus de 70 ans, est un ancien fonctionnaire du Parti qui, ayant réussi à échapper aux purges staliniennes, a émigré en Allemagne de l’Ouest où il est professeur d’histoire dans une université et spécialiste de politique étrangère à Radio-liberté. Rappelant que Nicolas Ier aimait à dire que ce n’était pas l’empereur qui gouvernait la Russie mais les chefs de bureau, Avtorkhanov voit en Brejnev « le type classique du chef de bureau idéologique parvenu au prix de mille efforts jusqu’au trône impérial ». Pour lui, Brejnev est avant tout le « super-bureaucrate » qui a parfaitement compris l’organisation et saisi le mode d’emploi du pouvoir soviétique, lequel repose sur la triade : appareil du Parti, Police politique, Armée. Il possède au suprême degré l’art de concilier les volontés souvent rivales de ces trois composantes et de les utiliser au renforcement de son emprise sur les rouages essentiels d’un gouvernement qu’il a progressivement aménagé à sa convenance.
En fait, l’ouvrage d’Avtorkhanov, dont le titre russe est en réalité : « Forces et faiblesses de Brejnev », est le regroupement d’études qu’il a écrites entre 1970 et 1980, et son unité se ressent quelque peu de l’hétérogénéité de celles-ci, même si l’auteur a pris soin de les regrouper en trois parties thématiques consacrées successivement à la politique intérieure de Brejnev, à sa politique étrangère, et à l’idée qu’il entend donner de lui-même à travers ses Mémoires.
S’y ajoutent également deux chapitres complémentaires : l’un, écrit en 1979, pose la question : « La Russie est-elle menacée d’une révolution ? » et le dernier, écrit tout récemment, est une analyse du XXVIe Congrès du PCUS tenu en février-mars 1981, « Le dernier Congrès de Brejnev ».
L’intérêt de cet ouvrage, polémique mais remarquablement documenté, dépasse en fait la personnalité et la pratique politique du maître du Kremlin ; il fournit un tableau très fouillé du système gouvernemental soviétique – une « partocratie » selon Avtorkhanov – et des nouvelles classes. Il fait comprendre pourquoi et comment ce système se régénère autocratiquement en comblant les vides de l’appareil du parti par ceux, nombreux, qui aspirent à profiter des avantages que confère la participation au pouvoir ; il analyse aussi les liens indissociables de ce système avec la puissance militaire et la politique d’expansion mondiale qui masque les insuffisances économiques d’un socialisme qui n’en finit pas de « mûrir ». Il tente également d’apporter une réponse à tous ceux qui s’interrogent sur ce qu’il adviendra après Brejnev. ♦