Le peuple réveillé. Juin 1940-Avril 1942
Ce livre est le quatrième de la série que l’auteur consacre à « la grande histoire des Français sous l’occupation ». Son propos est de nous expliquer la genèse de la Résistance et de nous faire revivre les conditions difficiles de cette naissance.
Trois étapes marquent celle-ci : primo, celle qui suit immédiatement le désastre de 1940 ; c’est la période de la solitude, celle où les résistants sont isolés, à commencer par le premier d’entre eux, le général de Gaulle, dont l’influence discutée par les Anglais ne s’étend pas, loin de là, sur tous ceux qui, dans l’ombre, ne savent pas exactement ce qu’il faut faire mais cherchent déjà à faire quelque chose. C’est le cas de bien des fonctionnaires du régime de Vichy, de civils comme le préfet Jean Moulin et de militaires comme ceux du SR (Service de renseignement) qui continuent à renseigner les Alliés, qui organisent le camouflage des armes et qui aident aux évasions de prisonniers, actions sporadiques et non coordonnées mais dont l’antériorité ne peut pas être niée. Secundo, la période marquée par le tournant historique de l’attaque allemande contre la Russie. L’événement va avoir, au plan de la résistance intérieure de la France, une portée considérable puisqu’il va précipiter dans l’action directe et immédiate un Parti communiste (PC) qui bénéficie déjà d’un appareil structuré en vue de l’action clandestine mais qui, jusque-là, avait mis sur le même plan de Gaulle et Pétain. En se lançant dans les attentats contre les occupants, le PC va provoquer en retour une répression terrible, consciemment voulue et assumée par lui, même si elle est contraire aux ordres de Cachin, détenu par Vichy, et désavouée initialement par de Gaulle qui réaffirme alors sa volonté d’autorité politique sur tous les Français et qui, depuis Londres, se veut seul « patron » de la résistance métropolitaine. Tertio, enfin, la dernière phase de cette période est celle de la marche difficile vers l’unification qui sera l’œuvre de Jean Moulin alors que les Français se détachent de plus en plus d’un régime qui s’abaisse devant l’occupant et d’un Maréchal qui s’incline devant l’exigence allemande du retour de Laval au gouvernement.
L’intérêt de ce livre tient à une double qualité, celle d’une parfaite objectivité et celle d’un exposé vivant qui restitue le caractère dramatique des événements et la tragédie que vivent certains de leurs auteurs. Je pense à l’attitude héroïque d’un Estienne d’Orves devant la mort, à celle des fusillés de Chateaubriant qui griffonnent des lettres à leurs proches sur les murs de leur prison. Bien des points d’histoire sont évoqués dans cet ouvrage et traités avec la dignité et le sérieux qui conviennent. Je citerai seulement comme exemples typiques celui de la responsabilité de Pierre Pucheu (homme politique français du gouvernement collaborationniste de Vichy) dans le choix des fusillés de Châteaubriant, responsabilité à laquelle Henri Amouroux souscrit entièrement en se fondant sur des documents et des témoignages inédits. Je pense aussi au projet que le général Laure, plus tard déporté par les Allemands, avait suggéré alors au Maréchal qui se serait offert comme seul otage aux représailles allemandes, dont Hitler ordonne la poursuite tant que les auteurs de l’attentat de Nantes n’auront pas été livrés. Ce geste noble et courageux qui eut infléchi le cours de l’histoire en faisant du vainqueur de Verdun la victime expiatoire frappée par Hitler, ne reçut qu’une velléité d’exécution sous forme d’une lettre effectivement rédigée à l’adresse du dictateur allemand, mais qui ne fut jamais envoyée, le Maréchal s’étant laissé trop facilement détourner de ce projet par ses principaux ministres.
Il faut lire aussi la remarquable étude consacrée par Henri Amouroux au général de Gaulle. Elle nous fait comprendre pourquoi celui-ci, qui arrivait le 16 juin 1940 dans l’avion de Edward Spears (diplomate et militaire britannique), n’était pas si démuni qu’il y paraissait dans sa solitude initiale et qu’il était bien, comme Churchill l’aurait dit à Tours quelques jours auparavant, « l’homme du destin ». ♦