The USSR and Africa
Les instituts voués aux études politiques et sociales sont très nombreux dans les pays anglo-saxons, particulièrement aux États-Unis. Plus ou moins spécialisés, souvent en cheville avec des universités, ils disposent en général de moyens considérables, publics ou privés, leur permettant d’éditer – toujours avec beaucoup de soin – et de diffuser un grand nombre de titres sur les sujets qui les préoccupent. Leur influence est certaine, dans les milieux gouvernementaux, comme dans les milieux d’affaires.
L’étude de Morris Rothenberg ressortit à cette catégorie d’ouvrages. Ancien diplomate, professeur à l’Université de Miami et spécialiste en matière de politique extérieure de l’URSS, il aborde ici le problème de l’expansionnisme soviétique en Afrique – sujet brûlant et assez inconfortable pour les Américains, qui constatent l’efficacité des méthodes soviétiques pour établir et étendre l’influence communiste dans le continent noir, tandis que leur propre diplomatie donne l’impression de patauger dans un marécage d’hésitations, de tâtonnements, de velléités et d’atermoiements.
En fait, estime Morris Rothenberg, les récentes avances soviétiques en Afrique (Angola, Corne de l’Afrique, Mozambique…) « confrontent l’Occident et l’Afrique elle-même avec un défi d’une nouvelle dimension ». Les scénarios politiques de ces interventions sont désormais rodés, les justifications idéologiques sont au point, et la mise en œuvre des moyens matériels ne pose plus de problèmes.
Sur ce dernier point, l’auteur apporte quelques précisions intéressantes. Sur les quelque 160 000 hommes que compte l’armée cubaine, Fidel Castro en maintenait, début 1980, près de 40 000 dans différents pays du Tiers-Monde, dont 20 000 en Angola et 16 à 17 000 en Éthiopie. Ce qui permet de penser qu’avec l’aide de la logistique russe et en absence de réactions de la part des Occidentaux ou de l’Afrique du Sud, les Cubains sont en mesure d’intervenir avec toutes chances de succès dans n’importe quel pays d’Afrique, puisque les mieux armés d’entre eux (Zaïre et Zimbabwe) ne disposent que de 20 500 et 21 500 hommes respectivement. Les Cubains ne sont pas les seuls « mercenaires » auxquels l’URSS peut faire appel, car, d’après ses dirigeants, la solidarité mondiale des forces progressistes (non seulement celles de l’Europe de l’Est, mais celles des pays africains déjà convertis) crée aux États communistes un véritable « devoir international » d’intervenir partout où c’est possible contre l’impérialisme et le capitalisme mondial. D’ores et déjà, cette solidarité est en œuvre. Elle est illustrée d’une façon frappante grâce à une série de tableaux présentés dans l’ouvrage de Morris Rothenberg, relatifs aux échanges de personnels militaires, de techniciens et d’étudiants entre les pays africains et les pays communistes. Beaucoup de lecteurs, même prévenus, seront sans doute surpris par l’importance des chiffres avancés.
Les ambitions des Russes en Afrique ne se limitent pas aux seuls pays progressistes ou susceptibles de le devenir. L’objectif final de leur action pourrait bien être la déstabilisation de la puissance impérialiste, capitaliste et raciste par excellence – l’Afrique du Sud. Mais il s’agit là, bien entendu, d’un problème qui ne se pose pas dans les mêmes termes que les précédents. Morris Rothenberg l’analyse comme suit : « La conscience de ce que représente la puissance sud-africaine et la probabilité que l’Occident, et particulièrement les États-Unis, ne finissent par considérer son maintien comme essentiel pour leurs intérêts militaires globaux, gêneront sans doute l’URSS et ses clients dans le choix d’une tactique. Mais la confiance accrue des Soviets en eux-mêmes et la nouvelle situation aux frontières de l’Afrique du Sud (Namibie, Mozambique, Angola, Zimbabwe) rendent presque certain un effort soutenu et follement accentué pour miner et finalement éliminer cette puissance en tant que l’une des rares pierres angulaires encore en mesure d’étayer dans cette région du monde l’édifice stratégique États-Unis–Occident ».
On décèlera peut-être dans ces propos et dans d’autres, une certaine tendance de l’auteur à jeter le manche après la cognée. Mais, après tout, il n’est qu’un observateur, et non un responsable. Un observateur qui pourra paraître un peu superficiel, en ce sens que ses théories et ses conclusions sont presque exclusivement basées sur la documentation « ouverte » fournie par les journaux et revues soviétiques qui, pour être inspirés d’en haut, n’en dissimulent pas moins de nombreuses intentions et réalités de l’action politique de l’URSS.
Mais, quoi qu’il en soit, il est de toute façon trop tôt pour pénétrer ce qui deviendra plus tard la vérité historique, et les premières approximations de Morris Rothenberg ont le grand intérêt de nous rendre attentifs à certaines évolutions du rapport de forces sur le continent africain. ♦