L’Opep : passé, présent et perspectives
La littérature sur les questions pétrolières est déjà immense. Elle est souvent spécialisée ; elle est aussi la plupart du temps écrite en langue anglaise. On ne compte plus les rapports nationaux, internationaux ou les études, recherches ou ouvrages sur tel ou tel aspect de ce phénomène majeur.
L’Organisation des pays producteurs de pétrole (Opep), dont le 20e anniversaire aurait dû être fêté à Bagdad en novembre 1980 n’a pourtant fait l’objet pratiquement d’aucune étude approfondie en France. Seule une note et étude documentaire déjà ancienne en décrivait les structures et le fonctionnement. L’ouvrage de Sid Ahmed est tout autre par son ampleur, ses objectifs et son appareil documentaire et critique. Comme le sous-titre l’indique, il s’agit d’apporter des « éléments pour une économie politique des économies rentières ». Ce faisant, l’économiste algérien, qui a eu l’occasion d’être mêlé à la conduite de la politique pétrolière de son pays, cherche à mettre en garde contre les illusions d’un enrichissement brusque, analogue par maints côtés à l’afflux brutal de l’or en Espagne au XVIe siècle. L’injection massive de liquidités au sein d’économies peu préparées à les recevoir comporte un certain nombre de conséquences qui ont été maintes fois analysées : inflation importée, gonflement des dépenses militaires souvent excessives, véritable fuite devant le travail productif et les activités économiques à long terme. La disponibilité de ressources abondantes encourage toutes sortes d’exemptions fiscales dont le résultat est la quasi-disparition de la fiscalité normale. Souvent les pays pétroliers confondent industrialisation et développement. Aussi constituent-ils des bases industrielles mal harmonisées avec leur environnement économique, social ou culturel.
En approfondissant l’étude du phénomène de l’enclave, l’auteur démontre, nombreux chiffres à l’appui, que la richesse pétrolière n’a pas forcément conduit à une élévation du niveau de vie réel des pays producteurs, mais au contraire trop souvent accentué les différences de revenu à l’intérieur des sociétés. Une étude historique et structurelle des rapports entre compagnies et États hôtes sert d’appui à sa thèse.
C’est dans cette optique qu’il analyse l’évolution des revenus de l’Opep depuis 1977 et leurs perspectives. Mais plus inquiétant lui paraît être le phénomène de baisse constante du ratio réserves prouvées/production de brut des pays de l’Opep, celui-ci étant passé de 45 à 39 en quelques années. En 1977, les réserves Opep représentaient 68 % des réserves mondiales de pétrole brut contre 70,2 % en 1965. La production de pétrole progresse mais la consommation mondiale n’est guère limitée de manière significative alors que les découvertes apparaissent de plus en plus aléatoires. D’où le double danger prévu par les experts : vers 1990 le niveau de rupture sera atteint, ce sera la date à laquelle la demande deviendra supérieure à la production ; les pays producteurs chercheront à préserver davantage leurs sources de revenus.
On devinera, qu’à son avis, le recyclage direct des pétrodollars constitue une simple récupération de la rente pétrolière. Il en décrit les différents mécanismes avec minutie et tire une conclusion assez simple. Étant donné que les institutions financières des pays producteurs sont étroitement imbriquées au système financier occidental, les excédents ne peuvent guère sortir des circuits internationaux, mais simplement s’y déplacer. Mais où trouver des opportunités d’investissement aussi massif dans les pays producteurs ou même dans la plupart des pays en développement ? Un chapitre de l’ouvrage est consacré à l’impact qu’ont exercé l’inflation mondiale, les pratiques restrictives ou les manipulations monétaires dans l’amoindrissement des excédents pétroliers.
Près des deux tiers de l’ouvrage sont consacrés au fonctionnement des économies internes des pays de l’Opep, leurs liens avec les autres pays en développement et leurs objectifs de développement. Les pays pétroliers ont-ils des capacités d’absorption suffisante de leurs ressources financières en capital physique ? S’engagent-ils dans la bonne voie en ne valorisant que leurs ressources en hydrocarbures (raffinage, pétrochimie) au détriment d’une modernisation de l’agriculture archaïque ou inexistante ? L’auteur y décrit avec force les divers obstacles que rencontrent les pays de l’Opep dans la voie du développement ? ralentissement de leur rythme de croissance, inflation domestique incontrôlée qui conjugue ses effets à une forte hausse du prix d’origine externe, la tendance au déficit des finances publiques, résultat d’une sous-estimation des recettes et d’un gonflement trop rapide des dépenses, l’existence de sévères goulots d’étranglement de la main-d’œuvre qualifiée, les nombreux retards ou insuffisances de production, enfin.
Définir une stratégie de développement judicieuse est donc un exercice éminemment délicat. L’auteur prône à juste titre pour le dialogue nécessaire entre Opep et pays industrialisés afin d’élaborer une transition énergétique globale fondée sur les principes de la coopération internationale.
On pourra contester certaines des thèses ou conceptions de Sid Ahmed. On doit rendre hommage à la richesse de sa documentation. Il a eu le mérite, en quelque 550 pages d’aborder une multitude de problèmes et de mettre l’accent sur maintes difficultés réelles.
S’il est présomptueux d’offrir des solutions toutes faites, au moins doit-on prendre en compte, en vue d’une solution acceptable pour tous, les situations respectives de chacun des acteurs du jeu énergétique qui est celui de notre temps. Tel est le sens de l’apport fondamental de « l’Opep ? passé, présent et perspectives ». ♦