De Salan à Boumédienne
Le titre de cet ouvrage - à bien des égards assez remarquables - n’est pas bien choisi. L’auteur s’en est rendu compte, puisqu’il a tenu à s’en expliquer dès les premières pages. S’il a opté, nous dit-il, pour un titre à consonance didactique et scolaire, c’était pour marquer « son souci de l’objectivité et de la chronologie ». Ouais ! Mais le lecteur ne sera pas dupe ! Dès qu’il sera entré dans le vif du sujet il s’apercevra qu’il ne s’agit en aucune façon d’un « témoignage dénué de passion » tel que prétend l’avoir souhaité l’auteur.
En fait, il sera en présence du récit à la fois passionné et passionnant d’une aventure intellectuelle, à vrai dire singulière et originale, puisque sans cesse alimentée et relancée par l’action. Pourquoi, dès lors, ne pas annoncer d’emblée la couleur ? L’impact du livre ne pouvait qu’y gagner, croyons-nous.
Ceci dit, on a sans doute déjà compris qu’il s’agit d’un ouvrage consacré au problème de l’Algérie, tel qu’il se posait au cours des années cruciales de 1956 à 1961 aux officiers français qui servaient dans ce pays.
En prenant un premier commandement au Sahara à la fin de 1956, René Laure avait déjà une expérience étendue et variée d’officier d’Infanterie de Marine et d’officier d’état-major, acquise dans les Groupes nomades du Tibesti, en Extrême-Orient, en Afrique Noire et à l’École de Guerre, où il avait fait partie de ce petit groupe d’officiers, inquiets des conséquences de Dien Bien Phu sur le sort de notre empire, qui avaient pris une part active et remarquée, sous le pseudonyme collectif de Milites, au débat qui s’instaurait sur ce sujet dans l’opinion. Il connaissait aussi fort bien l’Afrique du Nord et en particulier l’Algérie, à cause des liens familiaux qu’il avait noués. En bref, il était bien préparé pour apprécier la situation sur le terrain, l’avenir de l’Algérie le préoccupait à plus d’un titre, et il connaissait dans le détail les différents rouages techniques qui assuraient le fonctionnement du système franco-algérien.
Le propos de René Laure n’est pas seulement de raconter ce qu’il a vu (notons cependant en passant qu’il est un excellent conteur) mais surtout de comprendre et d’expliquer, sans jamais condamner, les sentiments et les motivations des protagonistes du drame algérien, c’est-à-dire des autochtones de toute opinion, des Français d’Algérie, des officiers et administrateurs sur le terrain, et aussi de tous ceux qui, aux gouvernements ou à l’Élysée, tentaient de bâtir une politique tant soit peu cohérente qui ne soit pas limitée à une succession d’actions ponctuelles.
L’intérêt que suscitent les analyses de René Laure tient au fait qu’il est doué d’un esprit critique acéré, et d’une intelligence vive et imaginative. En outre, au cours de ses différents commandements, il semble bien qu’il n’ait jamais éprouvé le moindre complexe, ni vis-à-vis de la hiérarchie militaire et administrative qui ne l’impressionnait pas du tout, ni vis-à-vis de la classe politique, qu’il avait fréquentée de près lors d’une tentative (manquée de peu) de se faire élire, en novembre 1958, député du 8e arrondissement de Paris. D’où une grande liberté dans les jugements et une grande indépendance dans les appréciations portées tant sur les hommes que sur les événements.
Nous nous trouvons donc en présence d’une contribution importante à l’histoire de l’indépendance algérienne. Histoire des idées, surtout, plutôt qu’histoire événementielle, et se rattachant, de ce fait, à l’histoire générale du déclin de l’impérialisme français. ♦