La démocratie libérale
« La démocratie libérale, volonté de la liberté et gouvernement du peuple par lui-même, est la conjonction voulue du libéralisme et de la démocratie. Les nations où elle est pratiquée sont celles où la liberté est la plus développée et les besoins économiques des humains les mieux satisfaits »… « Le monde né en 1789 vient de finir. Un autre commence. Il nous appartient de le subir sous la domination des autres ou de le créer selon notre volonté ».
C’est entre ces deux affirmations, les premières et les dernières lignes de son livre, que se développe l’analyse de La démocratie libérale de M. François-Paul Benoit, professeur à l’Université de Paris II qui, au-delà des mythes et de la phraséologie, a voulu définir et justifier le régime politique qui lui paraît le mieux correspondre aux exigences de notre temps, du moins pour les sociétés industrialisées. Il n’a pas voulu donner des réponses partielles à telle ou telle situation, mais aller jusqu’à un système intellectuel et à ses expressions politiques. Il a donc situé sa recherche dans un cadre global : « La démocratie libérale est un ensemble politique et économique cohérent (…) c’est un type de société (…). Elle est donc tout à la fois une réalité du temps présent et un projet pour l’avenir ». Si jusqu’ici la démocratie a été souvent étudiée, le libéralisme l’a été beaucoup moins, et la conjonction des deux restait à éclairer. Le livre de M. Benoit comble donc une lacune.
Cette démocratie libérale est née en France en 1789, par suite de tensions sociales qui prirent une coloration politique en raison de l’incompréhension dont Louis XVI témoigna à leur égard. Mais l’opposition jacobine retarda sa mise en œuvre de plusieurs décennies. Au nom d’une vaine conception de l’égalité, elle a reporté à plus tard les libertés et la liberté. Les idées jacobines d’égalité et de justice n’étaient pas des idées généreuses, mais des idées prématurées, sans rapport avec la situation sociologique et économique du temps, donc des idées erronées ». Le libéralisme en a souffert, et cette déviation devait favoriser l’essor du marxisme, au détriment de l’œuvre des grands libéraux, les Quesnay, Adam Smith, J.-B. Say, Sismondi, Tocqueville, Stuart Mill, Bastiat, etc. M. Benoit les réhabilite, mais, surtout, il veut montrer pourquoi et comment la démocratie libérale est une des grandes options du monde d’aujourd’hui : il se réfère à l’histoire pour justifier à un appel spécifiquement politique. Il n’y a là rien de théorique. À cet égard. M. Benoit rejoint M. Giscard d’Estaing qui, dans Démocratie française, a mis « une sourdine à l’exposé idéologique » pour placer en avant « ce qui paraît susceptible de jouer, de façon immédiate, un rôle dans l’avenir politique ». C’est d’abord le pluralisme, sans qui il ne peut y avoir de démocratie libérale : ce sont ensuite « les résultats concrets de l’économie libérale, qui sont de nature à rapprocher tous les Français »… « Et il est bien vrai que respect du pluralisme et résiliais effectifs de l’économie libérale sont les deux clefs de l’avenir ». Il est non moins vrai que « le débat politique paraît bien inutilement dramatique, comme s’avère injustifié le divorce idéologique des Français ». Dès lors, le grand problème consiste à faire admettre par les Français la nécessité du pluralisme et celle de la valeur des résultats de l’économie libérale. Mais, en soi, le pluralisme n’est qu’une technique d’organisation, une modalité des institutions, et l’« on n’adhère pas à une technique ou à des modalités pour elles-mêmes, on y adhère pour ce à quoi elles correspondent ». Il faut donc « provoquer l’adhésion des intelligences et des cœurs au pluralisme ». Deux idées s’imposent : le rôle des individus, « parce que la société libérale fait confiance à l’homme et place en lui sa finalité », le rôle de l’État, qui doit assumer ses « vraies responsabilités », c’est-à-dire ne pas se laisser tenter par « l’action purement conjoncturelle sur l’économie privée ».
Cette démocratie libérale est essentiellement une volonté, donc une action. « Depuis que le monde existe, aucune autre société ne s’est avancée si près de la liberté de tous et du bien-être pour tous (…). La démocratie libérale est, dans le monde moderne, le plus civilisé et le plus efficace des projets de société ». Et elle est seule à se présenter ainsi. « S’imaginer que le socialisme ou le collectivisme donneraient les mêmes résultats est une aberration : à chaque système ses effets. Il faut regarder au-delà de ses frontières avant de se faire une opinion sur les mérites du socialisme et du collectivisme, et il faut bien réfléchir, avant de croire les hommes qui affirment que parce que ce sont eux qui les manieraient, les méthodes qui donnent tels résultats à l’Est en donneraient de tout différents à l’Ouest ». M. Benoit déplore que la société française ne soit pas assez libérale, et qu’elle recherche parfois des « expédients socialistes » là où il faudrait d’abord élaborer des solutions authentiquement libérales. La démocratie libérale n’en a pas moins d’immenses chances, parce qu’en face d’elle le vide s’approfondit, surtout parce que « le marxisme n’est plus présentable » : « Ne sont réellement marxistes que quelques centaines d’intellectuels rivés à de stériles travaux de scholastique dans les diverses chapelles marxisantes, et quelques milliers de récitants. Les suffrages recueillis par les communistes expriment le souhait de ceux qui les leur donnent de mieux bénéficier des avantages de la société libérale, nullement de créer une société collectiviste, dont ils ignorent d’ailleurs à peu près tout ». Il y a donc un immense champ libre, pour la réflexion et pour l’action. À cet égard, le livre de M. Benoit est précieux : d’abord parce qu’il pose les bases de cette réflexion et de cette action, ensuite parce qu’il apporte une nouvelle preuve que l’Université n’est plus engoncée dans les mythes gauchisants, et qu’elle s’ouvre aux réalités. ♦