L’Internationale après Staline
Il y a deux ans, Mme Marcou, du Centre de recherches internationales (CERI) de la Fondation nationale des sciences politiques (FNSP), a soutenu une thèse de doctorat sur le Kominform, lequel a remplacé le Komintern comme cadre institutionnel et politique de l’unité de pensée et d’action des partis communistes (PC). Dissout en 1956, le Kominform a été remplacé par la « Conférence mondiale des partis communistes », qui a été le théâtre de l’affrontement des divers courants entre lesquels se partage aujourd’hui le mouvement communiste.
L’ouvrage de Mme Marcou éclaire la genèse de ce qui est entré dans le langage courant sous le nom d’eurocommunisme. Le problème n’est pas nouveau. Depuis le fameux appel de Marx et d’Engels, « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! », l’internationalisme a eu simultanément « une force mythique et une dimension politique », il a été à la fois une réalité et une fiction. Pendant longtemps, les PC n’ont été que les instruments de la politique soviétique. La situation est aujourd’hui différente : « à la notion de subordination s’est substituée celle d’attachement inconditionnel à l’URSS (Union soviétique) ». Dès sa première réunion en novembre 1957, la Conférence a pris en charge les événements qui avaient déjà bouleversé l’univers communiste poststalinien : le XXe Congrès (marqué par le fameux rapport de Nikita Khrouchtchev contre la mémoire de Staline), les révoltes de Pologne et de Hongrie, l’évolution de la Chine, etc. Sans doute, grâce au secret, elle put sauvegarder l’apparence de l’unanimité, mais elle portait en elle « les germes d’une rupture qui ne fera que s’aggraver dans les années à venir ». Très vite, la coexistence pacifique et la « reconnaissance des particularités nationales » provoquèrent « l’érosion du concept d’internationalisme prolétarien », cependant que le PC russe n’était plus un « modèle », mais un « exemple ». Puis les divergences de vues s’étalèrent au grand jour. À la suite de l’affaire tchécoslovaque, l’internationalisme prolétarien lui-même se trouva mis en question : « Si tout le monde s’accorde sur les termes d’internationalisme prolétarien, avec toute la charge mythique et morale de cette formule, les interprétations de son contenu divergent sensiblement ». L’inconditionnalité à l’égard du « pays du socialisme » reste le critère de l’internationalisme, « l’équation internationalisme = solidarité avec l’URSS reste pour de nombreux partis encore intouchable », mais la contestation ne cesse de s’accroître. Tito, Castro, Mao ont fait école.
Telles sont, pour Mme Marcou, les origines de l’eurocommunisme. Son livre est écrit avec la rigueur scientifique qu’on lui connaît. Mais on s’étonne de ne pas y trouver une analyse des raisons électorales pour lesquelles certains PC se déclarèrent dégagés de leur obédience à l’égard de Moscou. On s’étonne aussi que rien n’y évoque le rôle de l’évolution des armements, alors que celle-ci a tenu une place considérable dans la substitution de la coexistence pacifique à la guerre froide à partir de la crise de Cuba.
Quoi qu’il en soit, l’eurocommunisme apparaît comme une réalité et comme un mythe. Une réalité : les PC ne veulent plus être les simples artisans d’un transfert de ce qui s’est fait en URSS. Un mythe : dans le domaine de la politique étrangère, ils restent les fidèles alliés de l’URSS. Ils se sont différenciés, mais il est difficile de préciser jusqu’où se maintient l’unité et où commence la différenciation. De toute manière, la Conférence ne ressemble que de très loin au Kominform, et surtout au Komintern. « La problématique de l’Internationale se retrouve dans celle de la Conférence mondiale. Mais, que l’on compare l’impact de l’idéologie, des tactiques, des mots d’ordre lancés par l’Internationale avec celui des Conférences, celui-ci devient aussitôt dérisoire : on n’assiste plus qu’à une comédie. Ce n’est qu’au niveau du lexique, d’un discours répétitif et réduit à des slogans, qu’on peut croire à une filiation réelle ». Il n’en demeure pas moins que l’Union soviétique et les PC – du moins ceux d’Europe et celui de Cuba – constituent un ensemble qui, s’il n’est plus ce qu’il était, reste solide, et que cette solidité représente un des facteurs importants des relations internationales. ♦