Euroshima
Titre accrocheur, minceur aguichante habillée d’une robe feu, Euroshima se présente bien joliment. Mais que réservent au lecteur ces dehors plaisants ? Avouons-le à regret : une déception. Car Euroshima – ou Construire l’Europe de la Défense – veut démontrer que notre Europe démocratique ne survivra qu’en bâtissant une défense homogène et intégrée à tous les niveaux, et sa démonstration manque par trop de rigueur.
Après un examen rapide de la menace globale que fait peser l’impérialisme totalitaire sur le monde libre, et de la vulnérabilité physique et morale de celui-ci, nations européennes comprises – examen auquel il est possible de souscrire, à la réserve près que la Russie soviétique comporte elle-même plus de points faibles que les auteurs ne lui en attribuent – un exposé assez tranchant nous livre les 7 vertus cardinales que doit pratiquer toute stratégie pour atteindre à l’efficacité. D’où il ressort que seule une grande puissance peut concevoir et conduire une stratégie qui lui soit propre et conforme au modèle.
Or, l’Europe de l’Ouest possède les moyens d’une grande puissance : hommes, espace, ressources économiques, potentiel scientifique et industriel… Mais, divisée, mal organisée, gaspillant ses richesses, elle ne peut se comporter comme telle, et doit vivre sous la protection et donc dans la dépendance des États-Unis d’Amérique. Ce qui était normal en 1949 lors de la signature du Traité de l’Atlantique Nord (qui, nous dit-on, « a fait la part trop belle à la souveraineté pleine et entière des États-membres ») ne l’est plus en 1979. La supériorité militaire écrasante des États-Unis a fondu, la dissuasion nucléaire n’est plus ce qu’elle était, et l’Europe démocratique s’offre aujourd’hui en objectif privilégié à une offensive surprise des Forces du Pacte de Varsovie.
Par quelles voies, par quels moyens redresser cette situation ? La solution qui nous est proposée motive la nouvelle Grande Puissance « Europe » par les exigences de sa sécurité ; c’est dire qu’elle la bâtit sur des structures de défense. Les armées nationales sont mises au même niveau : commandement, entraînement, équipement, conditions sociales ; renseignement et logistique sont communs ; politiques de défense nationales sont parfaitement accordées. Et, puisque la stratégie est totale, les politiques tout court le sont nécessairement.
Bien qu’affirmée moins brutalement dans ses conséquences ultimes, tel est bien le sens général de la doctrine d’Euroshima. Table rase est faite des obstacles qui n’ont cessé de se dresser, même aux heures les plus favorables, à la construction de cette Europe idéale, depuis l’esprit pacifiste et plus encore particulariste des nations et de leurs minorités, jusqu’à l’évaluation de l’effort financier fantastique qui leur serait imposé pour réaliser les moyens militaires nécessaires à l’indépendance stratégique recherchée. Acquis à l’avance apparaissent l’approbation et le soutien américain à cette nouvelle Europe, ainsi que sa participation à l’Alliance Atlantique à deux piliers qu’elle lui offrirait ! Passivité soviétique assurée devant cette profonde modification de l’échiquier militaire mondial !
À escamoter les problèmes, on réduit dangereusement sa crédibilité. Il faudra à la jeune équipe qui, courageusement veut alerter l’opinion sur la vulnérabilité de notre Europe, beaucoup de travail encore pour être prise au sérieux, pour transformer son plaidoyer d’aujourd’hui en une réelle démonstration. ♦