Sept syndicalismes
Clerc avant d’être journaliste, militant socialiste sans doute, mais historien autant, plus intéressé par les faits que par les discours, tel nous apparaît Gilles Martinet à travers son dernier livre, ramassé, documenté et ouvert, sur l’histoire du syndicalisme ouvrier en régime capitaliste. Dans un précédent livre, Les Cinq Communismes, édité en 1971 aux Éditions du Seuil, l’auteur a traité la question de l’étouffement du syndicalisme en régime communiste.
Sept syndicalismes passe successivement en revue cette histoire dans les principales puissances industrielles du monde libre, la Grande-Bretagne, l’Allemagne de l’Ouest, la Suède, l’Italie, la France, les États-Unis et le Japon. À l’exception du japonais plus tardif, tous les syndicats nationaux étudiés sont nés dans la deuxième moitié du XIXe siècle, difficilement, souvent dans la confusion, parfois dans l’anarchie ; ils ont connu, à travers leurs « luttes de classe », leurs déchirements internes, leurs échecs et leurs victoires, des développements plus divergents que leur motivation initiale identique ne permettaient de le prévoir.
L’auteur met clairement et loyalement en évidence ces divergences. Il y a loin, en effet, de la « démocratie industrielle ». objectif du syndicalisme de l’Europe du Nord, à « l’autogestion », objectif de celui de l’Europe du Sud ; plus loin encore du syndicalisme américain, qui accepte le capitalisme et la libre entreprise, à l’italien qui vise un changement radical et rapide de la société, pour ne rien dire du syndicalisme japonais, encore peu étoffé et coincé dans son développement par le contrat de travail à vie appliqué dans toutes les grandes entreprises.
Face au TUC (Trades Union Congress britannique), vétéran et centralisateur, au DGB (Deutscher Gewerkschaftsbund allemand), banquier, coopérateur et entrepreneur, l’un et l’autre étroitement liés à un parti politique, les syndicats d’Italie, de France et du Japon offrent un pluralisme de structures, d’idées, de rattachement politique propre à handicaper leur action sinon générateur de surenchères anarchiques.
Les points de ressemblance existent néanmoins : tout d’abord un nationalisme qui s’exacerbe en temps de crise et rend une union internationale d’autant plus inefficace que le monde communiste n’épargne aucun effort pour en prendre le contrôle : l’opposition entre les appareils et la base qui se renouvelle en permanence en éléments jeunes et virulents ; des difficultés de concertation fréquentes entre les intérêts des cadres, des cols blancs et des cols bleus qui coïncident rarement ; enfin une tendance à élargir leurs objectifs au fur et à mesure qu’ils remportent des succès.
Nous avons particulièrement apprécié les chapitres relatifs aux États-Unis et à la France, et relevé dans ce dernier un portrait psychologique de Georges Séguy d’une finesse et d’une modération remarquables.
Devant cette image frappante de diversité et de complexité, une question s’impose : « Quel avenir pour le mouvement ouvrier ? ». L’auteur y répond dans un dernier chapitre d’une objectivité et d’une ouverture notables. Il reconnaît les obstacles, il dénonce certaines utopies, il rejette le totalitarisme bureaucratique des solutions communistes, et s’il se fait le porte-parole des thèses adoptées par son parti, il se garde de toute conclusion péremptoire et reste conscient des contradictions que porte en elle toute société humaine.
Nous regretterons, à propos de ce livre si plein de substance et de réflexion, qu’il minimise la gravité de la crise économique mondiale, de cette « guerre économique » dénoncée par certains leaders, et de ses conséquences pour l’amélioration rapide des conditions de vie de la masse des « producteurs » ; et plus encore, qu’il n’ait pas au moins signalé que le niveau toujours croissant de l’instruction et de l’information de celle-ci risque de favoriser un individualisme rebelle à toute forme d’enrégimentement qu’il soit syndical, politique ou encore, et c’est fort grave, de défense. ♦