Charles Martel
Historien de vocation plutôt que de formation, Jean Deviosse s’est fait néanmoins une réputation très justifiée parmi les érudits, comme spécialiste en France des temps mérovingiens. Son ouvrage sur Charles Martel en apporte la preuve. Il a rassemblé sur le sujet une documentation qui semble exhaustive, et cela en puisant directement aux sources et en écartant tout ce qui n’était que redites ou spéculations.
Sa tâche dans ces conditions n’était pas facile, car les chroniques et autres écrits de l’époque s’attachaient beaucoup plus à la geste de leurs héros qu’elles ne se préoccupaient d’évoquer leur personnalité ou de pénétrer leurs intentions. Et si l’on peut faire un reproche à Jean Deviosse, ce serait sans doute d’avoir suivi les mêmes errements et de nous frustrer ainsi du portrait de Charles Martel que nous attendions.
Qu’importe, après tout ! C’est à nous d’imaginer le personnage en le suivant en compagnie de l’auteur, c’est-à-dire presque pas à pas, ce qui en l’occurrence, signifie d’embuscade en accrochage, de combat en poursuite et de bataille en siège. Ce perpétuel cliquetis d’armes qui accompagne Charles Martel est d’ailleurs un peu lassant à la longue. Ce genre de vie était, à vrai dire, un impératif de ces temps barbares. Le Maire du palais pouvait moins que quiconque y échapper s’il voulait maintenir son autorité. Mais il ne semble pas qu’il ait clairement distingué la finalité de toute cette agitation guerrière. S’il a réussi, dans une certaine mesure, à restaurer l’unité du royaume franc, jadis réalisée par Clovis, il ne semble pas avoir très bien su dans quel but. L’auteur est obligé finalement d’en convenir en avouant « qu’on ne peut prêter à Karl de vastes conceptions politiques ». Tout au plus peut-on dire que son activité a servi les vastes desseins de son fils Pépin le Bref et surtout de son petit-fils Charlemagne, bien qu’il ne semble pas s’être outre mesure préoccupé de sa succession. Il ne paraît pas évident, en un mot, que Charles Martel, même en tenant compte de la victoire de Poitiers, puisse être vraiment considéré comme une figure de proue de notre histoire.
Mais, il a vécu à une époque quelque peu négligée par les générations actuelles d’historiens et son évocation par Jean Deviosse est de ce point de vue opportun, même si elle pèche, à notre goût, par une certaine absence d’idées générales. ♦