Le statut des militaires
Très claire, complète et utile est l’étude qu’a fait paraître La Documentation française sur le statut des militaires. La haute culture militaire et juridique du contrôleur général des armées Roqueplo et sa précieuse expérience humaine et administrative acquise dans les emplois les plus délicats donnent un prix tout particulier à ses réflexions sur une matière qu’il a lui-même puissamment contribué à faire progresser.
Lorsqu’il s’est agi de préciser les droits et les devoirs des serviteurs de l’État que sont les fonctionnaires, on s’est souvent inspiré des usages traditionnellement observés en ce qui concerne ceux qui ont la charge de la défense par les armes. Dans le domaine même du vocabulaire, bien des termes et des expressions couramment utilisés aujourd’hui dans la fonction publique, notamment dans le statut général des fonctionnaires de 1946, puis de 1959, proviennent du langage employé depuis longtemps dans la fonction militaire, qui est à l’origine la raison d’être de l’État. Cependant, ce sont les fonctionnaires civils qui ont été les premiers dotés d’un statut précisant leur place et leur rôle dans la communauté nationale, alors qu’il a fallu attendre le 13 juillet 1972 pour qu’un texte législatif traite du statut général des militaires, catégorie particulière de serviteurs de l’État dont une longue tradition de discipline et de dévouement avait paru rendre moins nécessaire rémunération des droits et des devoirs.
Or, les circonstances historiques traversées par les armées depuis la disparition de l’Ancien régime, notamment celles qui sont les plus proches de nous, ont mis en évidence l’intérêt d’une telle définition. Elle s’imposait d’ailleurs avec l’extension prise par le concept de la défense, à laquelle les militaires se consacrent, sans être les seuls à le faire. Elle devenait nécessaire dès lors que se substituaient aux armées relativement simples et homogènes de jadis des collectivités complexes et diversifiées réunissant les diverses catégories de personnels qui ont la charge de la fabrication, de l’entretien et de la mise en œuvre des armes : officiers, sous-officiers et soldats de tous grades et toutes spécialités, hommes et femmes, depuis le commandant en chef jusqu’au servant de l’arme individuelle, en passant par toute une gamme de « terriens », marins et aviateurs, gendarmes, ingénieurs, juristes, médecins, techniciens, appartenant aux troupes, équipages, formations, services et établissements de toutes sortes. Enfin cette définition était souhaitable dès lors que, dans une société occidentale toujours plus libérale, tout citoyen, fut-il sous les armes, supporte de plus en plus impatiemment les contraintes politiques et sociales liées à sa condition qui ne lui paraissent pas parfaitement justifiées ni assorties de compensations morales ou matérielles : il n’accepte d’être traité différemment de ses contemporains que dans la mesure strictement indispensable au bon fonctionnement du service qu’il doit assurer pour eux ; c’est bien le cas, dans l’état présent de l’évolution des mœurs, pour tous ceux que le pays utilise dans sa défense au moyen d’armes, qui n’ont d’utilité et de légitimité que si leurs détenteurs sont constamment prêts à exécuter l’ordre de les mettre en action sans tirer de leur possession une puissance exorbitante au sein de la communauté nationale ; tous facteurs, d’ailleurs, qui démontrent que les dispositions statutaires propres aux militaires, si elles doivent être aussi semblables que possible à celles qui concernent les fonctionnaires, ne sauraient leur être identiques.
L’étude de Jean-Claude Roqueplo montre d’une façon très actuelle et très concrète comment la construction juridique échafaudée dans les 15 dernières années cherche à répondre aux diverses questions psychologiques, sociologiques, morales et matérielles qui se posent aux militaires de notre temps. Peut-être pourrait-on regretter que ce souci méritoire d’actualité ait empêché de développer dans cette note les considérations historiques qui nous paraissent bien utiles pour mieux saisir la complexité des problèmes statutaires contemporains, en rappelant, par exemple, ce qu’a été depuis la Révolution l’évolution de la discipline générale, des rémunérations, de la notion dite de « propriété du grade » etc. À quoi l’on répondra qu’il était impossible de faire figurer de tels développements dans un ouvrage de ce genre qui doit renfermer sous un volume réduit la documentation la meilleure, résultat qu’obtient incontestablement la présente étude. ♦