La sécurité dans le golfe Persique
L’auteur est un jeune universitaire libanais du groupe « Sociologie de la défense » de l’École des hautes études de sciences sociales (EHESS), dirigé par Alain Joxe. Son ouvrage est tiré d’une thèse qu’il a préparée sous la direction de Jacques Vernant, collaborateur régulier et très apprécié de notre revue, qui vient de quitter le secrétariat général du Centre d’études de politique étrangère et la direction de la revue Politique étrangère, pour devenir administrateur du nouvel Institut français de politique internationale.
Son étude se propose d’analyser dans le détail l’histoire récente des tentatives infructueuses qui furent entreprises pour organiser la sécurité collective inter-États sur le pourtour du « golfe ». Mais elle a été rédigée avant les « événements » d’Iran : aussi ses timides conclusions sont-elles largement dépassées par le cataclysme qui vient de se dérouler sous nos yeux.
Une des remarques de l’auteur apparaît cependant particulièrement lucide a posteriori, à savoir que dans les pays du golfe, et probablement, au-delà également, les nostalgies tribales, ethniques, nationales, sociales et religieuses restent extrêmement vivaces sous les apparences de structures à l’occidentale.
La « pax britannica », qui les stabilisa pendant plus de 170 ans, n’étant plus qu’un souvenir, et la « pax americana » n’ayant pas réussi à prendre sa relève, allant de velléités en échecs et toujours dans la mauvaise conscience, c’est maintenant l’URSS qui est maîtresse du jeu dans le golfe, réalisant ainsi enfin le rêve de Pierre le Grand. À moins toutefois que la remarque de Melhem Chaoui ne soit aussi valable pour les républiques soviétiques voisines, de population musulmane, suscitant alors à terme des tensions dans l’« Empire », comme le laisse penser l’ouvrage si remarquable d’Hélène Carrère d’Encausse.
Mais dans l’immédiat, il n’est pas douteux que la situation soit dramatique pour le monde non communiste. À cet égard, l’auteur, dont ce n’était d’ailleurs pas le propos, n’a pas assez souligné, de notre point de vue, l’importance du golfe comme artère pétrolière pour le monde industrialisé : la région produit 1 milliard de tonnes par an, 60 % des réserves mondiales, 80 % des approvisionnements de l’Europe et 90 % de ceux du Japon, une quarantaine de pétroliers transitent chaque jour par le détroit d’Ormuz, étroit et facile à miner, qui fait communiquer le golfe et l’océan Indien.
Face à l’Iran, qui produisait 300 millions de tonnes de pétrole par an et qui était de fait le gendarme du golfe, qui reste-t-il pour contrôler le détroit d’Ormuz et ses approches ? L’Irak, surarmé par l’URSS, mais dont les 11 millions d’habitants sont partagés entre Sunnites et Chiites, et comprennent une forte minorité kurde très turbulente. L’Arabie saoudite, surarmée quant à elle par les États-Unis, mais qui est seulement peuplée de 6 millions d’habitants sunnites et dont plus d’un million sont des travailleurs immigrés yéménites. Enfin, une poussière de petits États, le Koweït, Barhein, le Qatar, l’Oman, les Émirats, qui totalisent à peine 2,5 millions d’habitants, divisés entre eux par leurs querelles et souvent en conflit avec leurs voisins. Tous ces États de fraîche date offrent donc un théâtre alléchant pour ces nouvelles pratiques politiques et économiques que l’auteur appelle l’« ethno stratégie » et la « pétro stratégie ».
Ouvrage de références historiques utile pour suivre l’onde de choc qui risque de se propager dans ce nouveau point chaud du globe à la suite de l’ébranlement iranien. ♦