Traité élémentaire de prévision et de prospective
Prévoir, deviner l’avenir est sans doute une inclination que nous transmettent les femmes dont le cœur est partagé entre l’espoir et l’inquiétude lors de la maternité. On ne lit plus dans les boules de cristal mais avec l’aide de l’informatique et une solide connaissance des sciences sociales. Cet ouvrage réunit les études de onze chercheurs appliqués à élaborer une méthode de prévision en leur matière propre : histoire, démographie, économie, technologie, phénomènes naturels, etc.
Ces pages ne sont toutefois pas une simple succession d’analyses spécifiques, elles ont leur ordre interne qui va du vocabulaire, des prémices aux possibilités et aux limites de la prospective. Sans doute est-ce cette charpente qui a conduit André-Clément Decouflé, son maître d’œuvre, à choisir le terme de traité pour titre de l’ouvrage. Dans sa préface, le directeur scientifique du CNRS (Centre national de la recherche scientifique), M. Edmond Lisle. juge ce choix impropre, lui préférant celui d’éléments pour un Traité. Ce livre qui nous réserve de bien stimulantes investigations commence donc par une chicane sémantique : c’est au siècle dernier, sous l’influence de la philosophie allemande à volonté systématique, que le mot « traité » s’est chargé d’un sens exhaustif ; jusqu’alors il signifiait simplement l’étude d’un sujet ainsi que le consigne Furetière dans son Dictionnaire. Pris dans cette acception, le titre du livre est donc parfaitement correct.
Nul ne doute plus de l’importance de la prospective : elle permet à l’action de mieux s’insérer dans le concret. Ses objectifs ne sont pas vains mais sont-ils suffisants ? Le paramètre de la prévision est le temps, c’est-à-dire en définitive l’histoire. Or, en définissant l’histoire comme « une compilation de futurs accumulés » n’oublie-t-on pas que l’histoire est d’abord liée à la conscience du présent ? En plusieurs endroits ce livre déboute les philosophies de l’histoire parce que théologiques ou messianiques, mais le lecteur en retire le sentiment que l’histoire devient un absolu ou à l’inverse un arsenal d’arguments. Or, il n’y a pas d’homogénéité dans l’histoire, et les historiens florentins, par exemple, faisaient bien autre chose que de conter des faits remarquables à titre de maximes. On ne croit plus comme jadis à une certaine notion classique de l’homme (c’est elle qui, du reste, empêchait dans les mentalités l’irruption d’un « sens de l’histoire ») mais l’idée d’une histoire universelle et globale qui lui a succédé est peu raisonnable. L’histoire a trait aux changements nous dit ce traité de prospective : si pourtant son ressort était la durée, voire la permanence dans l’être comme disent les philosophes ? Cet ouvrage n’entre pas dans ces querelles et, faute de le faire, la conclusion s’impose : « La prospective n’a donc pas de cohérence propre sinon d’être un aspect de l’histoire… La scientificité virtuelle qui lui était tout à l’heure retenue est donc vouée à demeurer… fantomatique. »
Il n’y a donc pas de concret qui permette une prospective de l’histoire. Il en va différemment en d’autres disciplines, à commencer par celles touchant aux finances, à l’économie, à la technologie et à ses dérivés industriels. On en vient aux formules mathématiques qui ne sont peut-être pas aussi sûres que les présages de Circé mais qui sont tout de même une des clefs de l’entreprise humaine. Peut-on d’ailleurs toujours bien apprécier la rationalité des décisions ou parfaitement décortiquer leur mécanisme ? Mallarmé y songeait déjà qui nous confiait que jamais un coup de dés n’abolirait le hasard… ♦