Avoir 20 ans en Chine
La perception de la Chine se fait à deux niveaux. Le premier correspond aux déclarations et aux slogans officiels, aux visites organisées pour les étrangers, personnalités ou touristes. Le second est plus difficile à atteindre et ses réalités ne sont perçues qu’avec retard : bien souvent la découverte fait apparaître des situations pathétiques. C’est bien au second niveau de cette connaissance que se situent les témoignages recueillis par l’auteur d’Avoir 20 ans en Chine.
Il s’agit très précisément des « Jeunes éduqués » chinois, issus de la ville, envoyés dans les campagnes pendant ou après la Révolution Culturelle, confrontés avec la dure réalité de la vie rurale chinoise, celle qui constitue l’essentiel du pays. L’élan révolutionnaire n’a pas résisté à leur expérience dans les communes populaires. L’absence de confort le plus élémentaire, l’indifférence ou l’hostilité des paysans, la rupture avec toute vie culturelle, les préoccupations quotidiennes pour tout simplement survivre (« comment voulez-vous être ouvert sur le monde extérieur quand casser un bol est un drame ? »), les tâches ardues des paysans, ont bouleversé les idées reçues et finalement ébranlé ou carrément fait perdre confiance à ces jeunes dans le PC (Parti communiste) chinois et dans ses dirigeants.
Or ces « Jeunes éduqués » correspondent à la première génération entièrement formée par le régime. On ne peut généraliser et affirmer que cette attitude est celle de la plus grande partie de la jeunesse chinoise. Les cas sont suffisamment nombreux pour qu’on en déduise la formation d’une classe à la recherche d’une nouvelle voie. Les résultats sont déjà lourds : perte du prestige du PC après la Révolution culturelle, effondrement d’une des bases du régime : ses conceptions morales. L’émergence d’un mouvement organisé est cependant exclue car « avec le PC il n’y a pas de faille ». Pour beaucoup de ces jeunes il ne restait donc plus qu’un moyen de salut : la fuite vers Hong-Kong.
Au-delà de ces désillusions ce livre permet de saisir l’un des traits essentiels de la Chine et l’explication de son retard économique et de ses difficultés. La Chine, ce sont ces centaines de millions de paysans encore englués dans leurs altitudes conservatrices, traditionnelles, opposant une inertie, parfois une indifférence aux directives émanant de la capitale ou de la direction de la province. Ce sont encore ces immenses campagnes, sous-développées. à la merci des aléas climatiques.
Les « Jeunes éduqués » ont donc reçu comme un choc la découverte de ce monde rural, si différent de celui qu’ils venaient de quitter. En face de cette dure réalité, beaucoup ont pris conscience que les formules révolutionnaires étaient creuses. Certains ont même admis que les orientations économiques formulées par Liu Shaoqii avant 1966 étaient réalistes.
Les dirigeants actuels comptent sur une forte élévation du nombre des étudiants pour arracher l’économie chinoise à son sous-développement. Mais de toute manière « avoir 20 ans en Chine » c’est encore s’élancer dans un monde peut-être prometteur mais exigeant certainement beaucoup d’efforts et d’énergie. ♦