La passion du Québec
Comment trouver le temps et la liberté d’esprit nécessaires pour écrire un livre quand on a la responsabilité de diriger un pays et, circonstance aggravante, dans une époque cruciale de son évolution historique ?
M. René Lévesque, Premier ministre du Québec, a tourné la difficulté en acceptant de répondre, devant un magnétophone, aux questions d’un journaliste parisien. Cette interview – qui s’étala, nous explique-t-on, sur une vingtaine d’heures – est publiée en un livre, La Passion du Québec.
Cette forme a un avantage : à travers ces phrases rapides, directes, jaillissantes, on retrouve – ou l’on découvre – l’homme d’action, l’éveilleur des masses, le merveilleux démonstrateur (on aimerait pouvoir écrire « expliqueur ») qui fut jadis grand reporter international et vedette d’une émission d’information fameuse de la télévision canadienne, ensuite ministre pendant la Révolution tranquille (1960-1966), enfin fondateur du Mouvement souveraineté-association (1967), bientôt transformé en Parti québécois (1968). Ayant conquis démocratiquement le pouvoir (15 novembre 1976), il assume depuis lors la direction sage et constructive de son pays en le préparant avec prudence, lucidité et fermeté à s’affirmer, au jour prochain (1979 ou 1980) du référendum, assez majeur et sûr de son identité nationale pour non seulement se déclarer souverain mais aussi offrir à ceux qui seront alors devenus ses ex-compatriotes du Canada anglais les liens, cette fois volontaires, d’une association, cette fois négociée.
Dans ces 300 pages on trouvera l’essentiel de ce qu’il faut savoir pour comprendre cet événement capital de notre temps qu’est l’éveil des « Français d’Amérique », leur prise de conscience collective, la volonté des meilleurs d’entre eux, à laquelle adhèrent peu à peu les autres, de se donner les instruments de leur personnalité, un véritable État.
On y apprendra aussi à connaître le personnage qui incarne ce sentiment national et qui construit cet avenir. René Lévesque serait sincèrement choqué si l’on disait de lui qu’il est un « homme providentiel ». Et, en effet, son physique et son caractère sont à l’opposé de l’image ainsi évoquée. Mais on ne peut s’interdire de penser que la Providence a placé, au moment voulu, où il fallait, cet être ardent et mesuré, patriote et ouvert au monde, immensément populaire et farouchement anti démagogue dont, pour ma part, je pensais, il y a 15 ans, qu’il jouerait sans doute un jour pour son pays le même rôle que, pour les leurs, naguère Ben Gourion, jadis Ataturk.
Les Français liront avec une particulière attention ce que René Lévesque dit de la France. Ses sentiments à l’égard de notre pays ne sont pas simplistes, ni même simples. Certains des nôtres ont, parfois, été surpris de son attitude et il m’est arrivé de porter auprès d’eux témoignage sur ce que je jugeais être sa pensée profonde. La lecture de La Passion du Québec les éclairera et les rassurera. Mieux qu’une francophilie voyante et superficielle. René Lévesque révèle un attachement lucide et profondément fraternel, déclarant que les relations privilégiées établies depuis l’époque gaullienne sont « des liens de nature ».
Ce livre est, sinon une somme, du moins un manuel, sérieux et vivant, sur ce que j’ai appelé, ailleurs, l’Affaire Canada. Son édition française est complétée par un dossier d’information, historique, politique, économique, culturel, qui sera très utile à nos compatriotes, si ignorants des réalités québécoises.
Je reprocherai au journaliste responsable de l’ouvrage certaines erreurs qui ne sont point des coquilles ; pour m’en tenir à la seule page 221, la visite de la reine à Québec (« samedi de la matraque ») n’eut pas lieu en février, mais en octobre ; le coup de tonnerre du rapport préliminaire de la Commission BB, a retenti non en 1964 mais le 25 février 1965… Je regretterai aussi que lors de la remise en forme les textes des enregistrements magnétiques, il n’ait pas mieux regroupé par thèmes les questions qu’il avait posées à son illustre interlocuteur. Enfin je m’étonnerai qu’il n’ait pas cité l’ouvrage auquel il a fait tant d’emprunts pour rédiger son chapitre de présentation. Cela eût été loyal et, certainement, aurait fait plaisir à René Lévesque qui, l’an dernier, avait préfacé ce livre. ♦