La France au bois dormant
La France au bois dormant attend-elle vraiment son prince charmant ? En fait, le titre est quelque peu trompeur, car le sommeil de Marianne n’est pas cet assoupissement paisible d’une jeune fille rêvant au bonheur futur, c’est un sommeil agité par le cauchemar d’un monde troublé par la crise, sous un ciel lourd de menaces nucléaires et de tous les risques d’une société de consommation qui n’a plus d’autre loi que le profit.
Cette France, déçue au printemps 1978 par des élections qui, selon l’auteur, n’ont rien résolu parce qu’elles se sont faites non pas pour un projet qui aurait mobilisé les énergies des Français mais contre le risque d’aventure que présentait le gouvernement d’une gauche divisée, est « avide de plus de justice, de plus de libertés et désireuse aussi d’introduire un peu plus de logique dans le fonctionnement, à bien des égards absurde, du monde capitaliste ». Ce n’est pas de longues analyses minutieuses, de textes fouillés, de rapports compliqués à plaisir par les technocrates, que les Français ont la nostalgie mais d’un langage simple, vigoureux, exprimant des intentions claires, sachant trouver les accents qui touchent les cœurs et tendent les énergies. Or, cette France-là est courtisée, mais trompée aussi, par les promesses fallacieuses d’un bonheur qui serait pour demain alors qu’il faudrait lui dire qu’elle court à sa perte si sa courbe de natalité ne se redresse pas rapidement, qu’elle risque de devenir non seulement un « pays de retraités » mais, pis encore, « un pays retraité » ; alors qu’il faudrait lui dire aussi qu’elle court les plus grands dangers si son économie ne subit pas des modifications structurelles profondes, si sa technologie et son enseignement ne cessent de prendre du retard sur les États-Unis et si ces clefs du pouvoir que sont aujourd’hui l’informatique, les banques de données et les communications spatiales ne cessent de renforcer l’hégémonie américaine.
Aux yeux d’André Fontaine, le style actuel du pouvoir paraît tantôt trop lénifiant tantôt trop cynique (il ignorerait trop les « laissés-pour-compte » de la marche du progrès, les victimes de cette restructuration économique qui lui apparaît pourtant nécessaire). Si bien que l’on se demande parfois en le lisant où penche réellement son cœur. S’il critique, en effet, toutes les réactions de type gauchiste et marginaliste, les hippies et les écologistes à tous crins (qui veulent bien le retour à la nature mais sans se priver des retombées de cette société de consommation qu’ils vitupèrent : la « bagnole » (sic) et le téléviseur), il n’en montre pas moins à leur égard une compréhension qui n’a d’égale que sa sévérité vis-à-vis du pouvoir.
Propose-t-il au moins quelque remède miracle pour dissiper la torpeur de la princesse France ? Il en prescrit peu, encore sont-ils vagues. Celui qu’il préconise pour résoudre le problème de l’emploi par exemple sera dur à avaler : chacun voit bien qu’une réduction du temps de travail permettrait le partage de l’œuvre entre tous, mais les travailleurs sont-ils prêts aussi au partage du salaire qu’une telle mesure implique nécessairement ? Ce serait pourtant un début d’application de cette « morale de l’espèce » qu’André Fontaine appelle de ses vœux, une morale qui a d’ailleurs une dimension mondiale, qu’il souligne à juste titre : celle de l’aide aux pays en voie de développement. On ne peut en effet qu’approuver cette déclaration courageuse du leader de « Force ouvrière », André Bergeron, que cite André Fontaine : « …Le problème numéro un de notre temps est celui de l’aide aux pays en voie de développement. C’est un problème de solidarité humaine et de raison. Il faut aider ces populations et surtout il faut admettre que cette aide viendra en déduction du pouvoir d’achat de chacun. Il n’y a pas de miracle en la matière. »
Voilà un projet pour une France bien éveillée, et de nature en tous cas à fournir sinon la richesse du moins du travail à tous les Français. ♦