L’Après-guerre. Naissance de la France moderne
L’histoire de la IVe République a déjà trouvé de nombreux auteurs, tels Georgette Elgey, Jacques Fauvet, André Siegfried et bien d’autres, sans compter l’apport des mémorialistes tels le général de Gaulle pour ne citer que le plus éminent. En quoi donc l’ouvrage de Paul-Marie de La Gorce, historien et journaliste, se distingue-t-il de ses prédécesseurs ? Notons-en tout d’abord le titre qui s’applique à la période 1944-1952 et qui ne couvre donc pas la IVe République proprement dite, dont l’avènement officiel coïncide avec la promulgation de la Constitution adoptée par le référendum du 13 octobre 1946 et dont la fin est marquée par le « retour aux affaires » du général de Gaulle en 1958.
Soulignons ensuite l’idée maîtresse de Paul-Marie de La Gorce qui est de montrer comment et pourquoi le rêve qui animait le Général et la majorité des Résistants au moment de la Libération a été déçu, ce rêve qui était de rebâtir la France en la dotant d’institutions stables, efficaces et d’une structure économique et sociale plus juste sans porter atteinte aux libertés fondamentales ; sauvegarder son indépendance dans un équilibre qui la tiendrait à l’écart des hégémonies : faire évoluer l’Empire vers une fédération et tenir les promesses du discours de Brazzaville. C’était là l’espérance de bien des socialistes comme des républicains populaires dont le parti naissant, appelé à devenir le second de France, se situait dans la tradition du christianisme social d’Albert de Mun et Marc Sangnier.
La volonté du Parti communiste de faire échec à cette tentative de travaillisme unitaire et de s’assurer la prééminence dans le Front national pour se hisser légalement au pouvoir empêcha la réalisation de l’union sacrée qui avait nourri les espoirs des combattants et des résistants. De Gaulle ayant démissionné en janvier 1946, aucun obstacle sérieux ne s’opposait plus au retour à un régime d’assemblée. Le système des partis reprenait vite le dessus. C’est qu’en effet les réalités, la France profonde, différaient de l’image qu’avait pu suggérer la Résistance. « Au cœur de la France libérée, note Paul-Marie de La Gorce, il y avait une France vaincue. Cette France-là ne disparaîtrait pas avec le terme de l’épuration ; cultivant le souvenir de ses épreuves, entretenant ses plaies, elle ressurgirait peu à peu à l’occasion des tensions et des crises de l’après-guerre… de la guerre froide, à l’ombre de la guerre d’Algérie ».
Dans cette « France divorcée », selon l’expression même de l’auteur, et qui ne dispose pas des institutions fortes qui eussent été nécessaires pour affronter les épreuves de la guerre froide, celle-ci va opérer un clivage. La guerre d’Indochine notamment, va rendre aux socialistes la coexistence avec le communisme inacceptable, elle va rejeter définitivement le MRP (Mouvement républicain populaire) vers la droite et l’atlantisme. Dans le désarroi et l’angoisse de l’invasion possible, la IVe République va donc choisir une politique que ses dirigeants avaient voulu éviter. Sur le plan intérieur, les divisions et la faiblesse du régime ne seront pas moins grandes, et c’est à dessein, comme pour marquer leur apogée, que le livre de Paul-Marie de La Gorce se termine sur les manifestations de mai 1952 qui marquent la coupure tragique de la France.
Mais le livre de notre confrère ne se limite pas à la relation de ce divorce. La IVe République ne fut pas seulement une suite dérisoire de combinaisons ministérielles. L’histoire des mentalités, de l’opinion publique, y tient une place importante. L’auteur nous montre ainsi l’évolution qui marque l’Église après sa malencontreuse et regrettable collusion avec le régime de Vichy, le mouvement des idées de la jeunesse et l’évolution des mœurs avec l’épisode dramatique de l’existentialisme et de la libération des tabous qui ébranlera par la suite les structures sociales qui paraissaient les plus solides. Les sources de la France moderne sont là, dissimulées par le vacarme des crises politiques et des guerres d’outre-mer.
Un livre très remarquable, d’une parfaite objectivité et qui va au fond des choses. Sa lecture, facilitée par un style vivant, émaillée de raccourcis brillants et de formulations heureuses, s’imposera à qui veut comprendre en profondeur cette histoire de la faillite d’un régime et du déchirement d’un pays, mais aussi celle qui annonce le réveil des Français. ♦