Le territoire de l’historien
Cet ouvrage avait déjà paru chez Gallimard en 1973. Il a été, en 1977, reproduit (par procédé photomécanique) pour la collection « Tel », sans doute en raison du succès considérable et quelque peu inattendu remporté par l’auteur en 1975 auprès du grand public avec Montalon, village occitan de 1294 à 1324. Ce dernier livre avait révélé aux non-spécialistes, sur un exemple particulièrement bien choisi, les nouveaux domaines que l’école historique française s’efforce aujourd’hui d’explorer ainsi que les méthodes originales qu’elle applique dans ses recherches.
Le territoire de l’historien permet d’en apprendre beaucoup plus sur ces modernes orientations. Il s’agit d’un recueil de textes rédigés à différentes époques et en diverses circonstances, et initialement réservés à des périodiques spécialisés. Rassemblés en volume, ces textes donnent un aperçu très complet du travail de défrichement et de découverte accompli par Emmanuel Le Roy Ladurie et ses disciples.
Précisons que ces historiens et leurs équipes de chercheurs ne prétendent en aucune façon contester l’intérêt de l’histoire événementielle. Mais ils estiment qu’elle est incapable à elle seule, même en affinant les méthodes traditionnelles et en accroissant leur « pouvoir de séparation », de reconstituer ce que l’on pourrait appeler la couleur du temps, parce que celle-ci est la composante de données hétérogènes innombrables, qu’il était impossible, du moins jusqu’à ces dernières années, d’appréhender toutes et en même temps. Il n’en est plus de même aujourd’hui. Les sciences humaines, comme toutes les autres, ont trouvé dans l’informatique un levier d’une puissance inouïe qui décuple leurs possibilités et leurs ambitions. L’histoire s’est mise à l’heure des ordinateurs. Elle est en mesure désormais de travailler sur le quantitatif et le sériel, c’est-à-dire de tenir compte avec précision, au moins pour l’époque moderne (depuis la fin du Moyen-Âge), de l’ensemble des éléments de la vie matérielle et culturelle qui constituent l’environnement d’un instant déterminé de l’histoire.
Les nouveaux historiens rejoignent ainsi d’une certaine manière les théories unanimistes du début de ce siècle. Mais on est loin cependant – certains le regretteront – des Vandal, des Sorel et des Pirenne qui savaient si bien faire revivre pour nous, grâce à leur seul talent et sans l’aide de statistiques, les grands moments et les grands acteurs du passé. ♦