Un hiver froid à Pékin
Voici un livre sur la Chine actuelle qui, pour une fois, n’est ni un reportage, ni une étude politico-économico-sociologique, ni une thèse gauchiste, ni une hagiographie de Mao. Il s’agit d’un roman, d’une inspiration classique et traditionnelle, avec tout au plus une légère déviation historique, en ce sens que quelques personnages réels y coexistent à côté de personnages entièrement fictifs. L’auteur, dit-on, est un jeune scientifique, opposant au régime, récemment réfugié au Japon et qui débute dans les belles lettres. Le genre d’expression romanesque lui a paru, sans doute, plus apte que toute autre forme du discours, à décrire la réalité quotidienne de la vie des Chinois d’aujourd’hui.
Il serait peu de dire qu’il nous présente cette réalité sans complaisance. L’effroyable coercition que le régime exerce sur la population offre, d’après lui, peu de chance de survie à l’imagination, à l’initiative et aux sentiments les plus élémentaires d’amour, de générosité ou de compassion. Le conditionnement des individus est à la fois quasi universel et total.
Parmi les héros de ce roman – des jeunes pour la plupart – les uns se sont pliés aux impératifs du système et adoptent sans discuter l’attitude que celui-ci exige. Les autres – souvent issus de la même cellule familiale – se sont révoltés et essayent de subsister en marge de la société au sein de bandes clandestines qui aspirent à réformer toutes les structures et mentalités actuelles du pays. Mais lorsque éclatent au sommet de la hiérarchie des dissensions consécutives à la mort de Mao et surtout de Chou En-Laï, lorsque la « bande des quatre » aux abois essaye de recourir à l’arbitrage populaire en provoquant des troubles sanglants dans le pays et surtout à Pékin, les positions idéologiques de nos jeunes héros sont ébranlées, tandis que s’affrontent, sur la place Tien An Men, Garde centrale, Milice populaire, Armée du peuple de Pékin, Action unie et autres factions populaires.
Ces scènes à grand spectacle tirées de l’épopée révolutionnaire et contre-révolutionnaire laissent cependant toute la place voulue au déroulement d’intrigues proprement romanesques : amours contrariées, jalousie, ambitions déçues, font bon ménage avec de mystérieuses histoires d’espionnage dans le genre de celles qu’on pourrait trouver dans les aventures de James Bond.
Mais ce que l’on retiendra surtout de ce récit – dans la mesure où il est authentique – c’est que la jeunesse chinoise est aujourd’hui à la recherche de nouvelles recettes de bonheur individuel qui supposent une révision fondamentale de toutes les valeurs héritées du maoïsme. ♦