L’Empereur Julien
À la mémoire de Julien est associé le surnom d’« Apostat », qualificatif flétrisseur appliqué par les chrétiens des premiers temps à ce descendant de Constantin qui avait osé renier la religion de Jésus pour revenir à des cultes païens. Cette attitude insolite, à une époque où le christianisme triomphe partout et où le glorieux empire romain jette ses derniers feux, appelait de la part de l’historien une démarche toute de curiosité et d’objectivité en vue peut-être d’une certaine réhabilitation.
L’auteur, M. Benoist-Méchin, n’a pas hésité à s’attaquer à si rude tâche. Son travail a été facilité par l’existence de sources anciennes telles que les lettres ou les discours de Julien auxquels viennent s’ajouter les œuvres des historiens anciens tels que Plotin, Porphyre. Théodoret, Nazianze… que l’auteur a eu la bonne idée de répertorier en fin d’ouvrage. Sa recherche est appuyée aussi sur des spécialistes du Bas-Empire et sur des historiens des religions.
Comment M. Benoist-Méchin nous restitue-t-il le visage et l’œuvre de Julien ?
Un portrait, judicieusement intégré au livre parmi dix-huit autres photographies, nous montre un empereur au visage grave, où les rides très creusées suggèrent une vie soucieuse et menacée.
Les faits relatés corroborent bien cette impression. L’adolescent a échappé à des massacres familiaux en 337 et le jeune commandant des légions romaines en Gaule (en 355) a su retarder le plus longtemps possible la colère de son soupçonneux et impérial cousin Constance II. Mais le danger l’atteindra finalement sur le champ de bataille lorsque, empereur, il défendra Rome contre Sapor de Perse en 363. La vie militaire de Julien est émaillée de succès qui accroissent sans cesse sa popularité auprès des soldats, tant à l’Ouest, alors qu’il n’est que « César des Gaules », qu’à l’Est. Son équipée orientale ressemble par bien des traits à l’« anabase » d’Alexandre le Grand auquel Julien aimait tant faire référence.
M. Benoist-Méchin insiste également sur la lente ascension politique de Julien : avant d’accéder au pouvoir il a dû subir de nombreuses vexations et beaucoup d’exils. Ces temps de répit sont pour lui autant d’occasions d’étude.
Et le portrait de Julien montre bien dans sa gravité une tension intellectuelle. L’auteur aborde évidemment le point crucial de l’évolution philosophique et religieuse du personnage. On aurait aimé qu’il l’appréhendât d’un seul jet plutôt que de la diluer dans le déroulement des faits. Cela eût permis de mieux saisir la vraie nature du paganisme que le jeune empereur choisit. Non plus les vieux cultes poliades, vidés de leur sens au IVe siècle de notre ère, mais le choix de cultes à mystères ou le choix de divinités à vocation universelle. Jeter un éclairage sur le mystère de Mithra, ce dieu militaire, oriental, eût permis de mieux saisir comment Julien a pu passer sans encombre de la religion du Christ au culte de Mithra. On retrouve des analogies frappantes, tant au niveau du dogme (mort et résurrection du dieu…) qu’au niveau du rite (repas sacré avec pain et vin). Quant à Hélios - divinité cosmique, donc universelle - Julien y était fidèle dès sa tendre enfance. Très jeune, en effet, il avait rêvé qu’il était transporté dans les airs et qu’il avait entendu le divin Hélios l’appeler par son nom. Nous voyons donc que pour Julien, le paganisme est autant chargé de valeurs mystiques que le christianisme. Devenu empereur, Julien se garde de toute persécution contre les chrétiens mais il mécontente les évêques car il rouvre les vieux temples et publie des traités de philosophie païenne (362), renouant ainsi avec Marc-Aurèle. Cette désaffection vis-à-vis du christianisme procède certainement d’un réflexe politique : pour Julien, les chrétiens sont des « démobilisés » ; s’occupant de la Cité Céleste, ils en viennent à rejeter le service militaire et le service de l’État. L’empereur, militaire courageux et politique clairvoyant, ne pouvait qu’être frappé par l’inadéquation entre une religion qui prônait la non-violence et les vertus guerrières qu’appelait la défense d’un Empire sur le point d’être submergé par les « Barbares ».
Le portrait de Julien sort blanchi de l’épreuve. Il n’est plus l’affreux traître idéologique mais apparaît comme un homme sincère à la recherche d’une vérité politique, et finalement sympathique. M. Benoist-Méchin atteint son but grâce à la précision des informations fournies et au choix judicieux des illustrations et des titres de ses paragraphes, empruntés à la course solaire. Une sorte de clin d’œil à Julien ! ♦