Strategic Disarmament, Verification and National Security
Alors que l’on s’achemine vers la conclusion de l’accord dit SALT II et que l’Assemblée générale des Nations unies s’apprête à débattre des problèmes du désarmement au cours d’une session spéciale (printemps 1978), il est expédient de soumettre à un nouvel examen les modalités et la fonction du contrôle qui est apparu dans le passé comme le principal obstacle à une authentique limitation des armements. Certes, les conceptions maximales développées dans les années 1950 ont dû céder le pas à des formules de vérification plus simples, l’objectif poursuivi par les négociateurs étant moins d’obtenir une garantie absolue quant à l’exécution de toutes les clauses d’un traité que de rassurer les États signataires sur les incidences politiques et stratégiques d’une réduction concertée des armements.
Grâce aux progrès de la technologie, le contrôle peut désormais s’effectuer à distance avec des moyens de vérification nationaux, et les performances des instruments de détection spatiale permettent de réduire au minimum les inspections in situ. C’est ainsi que les deux grandes puissances nucléaires ont pu s’engager dans la voie de l’arms control et ont réussi dans une certaine mesure à stabiliser l’équilibre sur lequel repose la dissuasion réciproque.
Le livre de M. Karkoszka, publié sous les auspices du SIPRI, apporte une contribution originale au débat sur les chances d’une limitation compréhensive des armements stratégiques des deux Grands. Le propos de l’auteur, qui est chercheur à l’Institut polonais de Relations internationales, est de démontrer que l’entreprise peut aboutir si les deux parties acquièrent la certitude que l’équilibre stratégique sera maintenu et que toute évolution susceptible d’entraîner sa rupture sera décelée à temps. Aussi, les dispositions prises en vue du contrôle ne sont-elles pas à ses yeux l’élément déterminant d’un traité de désarmement mais seulement un moyen parmi d’autres pour créer le climat propice à sa conclusion et un adjuvant à la sécurité des États qui le signeraient. En effet, aucun État ne renoncera à sa souveraineté dans le domaine militaire et ne consentira à une limitation de ses forces armées s’il n’est pas convaincu que le nouveau système de sécurité auquel on lui demande d’adhérer offre au moins des garanties égales à celles découlant de la « paix armée ». D’où l’intérêt d’une recherche sur les interactions de la sécurité et de la vérification dans le processus du désarmement et, à cet égard, l’exercice auquel s’est livré M. Karkoszka est riche d’enseignements.
Le postulat de l’auteur est qu’il est possible de stabiliser les rapports de dissuasion réciproque entre deux protagonistes nucléaires en procédant à une limitation progressive et équilibrée de leurs armements stratégiques ; dans ce contexte, la vérification a surtout pour fonction de prévenir l’érosion de l’équilibre stratégique et dans l’hypothèse où elle se produirait, de permettre aux deux États intéressés de prendre à temps des mesures pour préserver leur sécurité. Il est entendu que le rythme et les modalités de la limitation des armements seront conçus de telle sorte que l’équilibre stratégique sera maintenu jusqu’au terme du processus. Toutefois, M. Karkoszka se soucie avant tout de construire un modèle mathématique et il est conduit à réduire le champ de ses investigations à des éléments quantifiables. C’est ainsi que. d’une part, il ne retient que les composantes militaires de la sécurité et que, d’autre part, il fait abstraction de l’introduction dans l’arsenal des grandes puissances des missiles de croisière dont les effets ne peuvent pas être chiffrés. Or, les missiles de croisière constituent précisément un facteur d’incertitude majeur dans la perspective d’une limitation des armements stratégiques et ce n’est pas en refusant d’examiner les problèmes qu’ils soulèvent que l’on contribuera à leur solution.
Les scénarios construits par l’auteur se situent dans deux environnements stratégiques différents. Dans la première hypothèse, la limitation des armements stratégiques s’accompagne d’un gel des perfectionnements qualitatifs : dans la seconde, la limitation des armements s’inscrit dans le contexte d’une course qualitative aux armements. M. Karkoszka admet que les conditions du scénario numéro 1 ont peu de chances de se réaliser et bien qu’il soit paradoxal qu’une limitation des armements soit concomitante d’une course à l’innovation technologique, il estime qu’elle correspond davantage à la réalité de la compétition techno-stratégique entre les deux grandes puissances. Au terme de son étude, il aboutit à la conclusion que la vérification de la limitation quantitative des armements n’a qu’une incidence négligeable sur la sécurité des parties contractantes. En effet, le non-respect par l’un des États des engagements pris à cet égard ne saurait constituer une menace pour la sécurité de l’autre puisque sa capacité de dissuasion résiduelle n’en serait guère affectée. En revanche, les perfectionnements qualitatifs peuvent avoir des effets déstabilisateurs dans la mesure où ils conféreraient à l’un des protagonistes la possibilité d’éliminer la capacité de riposte adverse par une « première frappe ». À cet égard, M. Karkoszka fait une distinction entre les fusées intercontinentales sol-sol (ICBM) et les engins mer-sol (SLBM). Le développement des ogives multiples indépendamment guidées et la précision du tir rendraient très vulnérables les ICBM au terme du processus de limitation des armements stratégiques. Toutefois, la « déstabilisation » ne serait pas totale comme on le pense communément, aussi longtemps que subsisterait une capacité de dissuasion fondée sur des sous-marins nucléaires lance-engins. C’est pourquoi, l’auteur met surtout l’accent sur les risques découlant d’un perfectionnement des techniques de détection et de destruction des sous-marins (ASW).
La démarche de M. Karkoszka s’inspire de celle adoptée par MM. Afheldt et Sonntag dans leur étude : Slability and Strategic Nuclear Arms, publiée en 1971. Les deux chercheurs allemands (1) avaient tenté d’élaborer des modèles mathématiques permettant de rendre compte de l’incidence des ABM et des MIRV sur l’équilibre stratégique soviéto-américain et ils s’étaient évertués à calculer des « seuils de sécurité » dans l’hypothèse d’une limitation des armements stratégiques. Leurs travaux avaient retenu l’attention des experts comme une contribution originale à la théorie de l’arms control, mais les innovations technologiques intervenues au cours des dix dernières années conduisent à une appréciation nuancée de certaines de leurs conclusions. En les prenant à son compte, M. Karkoszka semble oublier que le seuil optimal de sécurité est lié aujourd’hui à un niveau élevé des armements stratégiques et que les limites du contrôle s’opposent à leur limitation drastique. Par ailleurs, s’il souligne à juste litre l’importance des facteurs qualitatifs, il ne met pas en doute la possibilité de les maîtriser par une vérification exempte d’ingérences excessives dans les affaires intérieures des États. Or, sur ce point les experts sont divisés et l’opinion dominante est que les perfectionnements qualitatifs échappent dans une large mesure au contrôle opéré à l’aide de moyens nationaux, le seul qui soit envisagé par les grandes puissances. Aussi longtemps que l’on ne sera pas parvenu à maîtriser la course qualitative aux armements, il est peu probable que les deux protagonistes nucléaires s’engagent dans la voie d’une limitation authentique de leurs armements.
L’ouvrage de M. Karkoszka s’appuie sur une exploitation systématique de la littérature occidentale consacrée à ce sujet et il abonde en considérations topiques sur les fonctions du contrôle, ses modalités et les facteurs qui conditionnent son efficacité. Il met en évidence l’ambiguïté des concepts d’intérêt national, de sécurité et de dissuasion. Toutefois, il y a peu de chances que les recommandations qu’il contient soient suivies par les responsables de la sécurité des États-Unis et de l’Union soviétique, et l’on peut craindre que ce livre qui est censé promouvoir le désarmement, n’apporte en définitive de l’eau au moulin des sceptiques qui ne voient pas d’autre issue à la situation actuelle qu’une vigilance accrue à l’égard de « l’adversaire-complice » et la poursuite de la compétition techno-stratégique. ♦
(1) M. Afheldt travaille à l’Institut Max Planck à Starnberg (RFA) et s’est signalé récemment par une étude sur les dilemmes de la « Sécurité atlantique » de la RFA (Verteidigung und Frieden, Hanser, Munich, 1977).